Le Grain du CAD

Numéro 8-mai 2021

Être gouverné, c'est être gardé à vue, inspecté, espionné, dirigé, légiféré, réglementé, parqué, endoctriné, prêché, contrôlé, estimé, apprécié, censuré, commandé, par des êtres qui n'ont ni titre, ni la science, ni la vertu. 

 Pierre Joseph Proudhon

ÉDITO

       Qui aurait cru qu'à l'heure où nous nous apprêtons à faire paraître ce 8ème numéro du Grain nous serions toujours plongés dans ce poisse de Covid. Cela va bientôt faire quinze mois que le virus exerce ses ravages sur toute l'étendue de la planète, et quinze mois que les gouvernements de tous les pays, ou presque, empilent les stratégies pour essayer de le juguler. En France, la dernière riposte en date de nos décideurs consiste à miser sur la vaccination. Plus on sera de vaccinés, plus vite on cassera les chaînes de transmissions, moins il y aura de contaminés et avec le passeport sanitaire nous pourrons nous remélanger sans risque les uns avec les autres. C'est mathématique. Ce qui est mathématique aussi au pays des Gaulois, infaillible et inévitable, c'est que comme à chaque fois depuis le début de la pandémie, une levée de boucliers s'est produite dans la population pour manifestant contre ces mesures. Pas justes, attentatoires à la liberté, scientifiquement infondées, coercitives, approximatives, les critiques ne manquent pas pour dénoncer ces nouvelles décisions tombées des hauteurs jupitériennes. Nous autres, au Grain, qui faisons partie de la population, avons également nos opinions sur la bonne, ou mauvaise, façon de combattre la Covid (plusieurs d'entre nous croyons tout à fait à l'utilité de la vaccination tandis que d' autres sont sceptiques), nous possédons aussi, dans certains domaines, des connaissances, mais la question, ou l'une des questions, que d'un point de vue anarchiste nous avons envie en la circonstance de soulever est celle de l'État. À quoi sert l'État? Et plus au-delà, quelle est sa nature? Sur une impression à l'occasion de cette crise sanitaire, les gens, nous entendons par là les «non anarchistes», ont découvert la dimension de la puissance de l'État. Retour en arrière. Historiquement, les États se sont constitués au départ sous la coupe des grands trônes avec pour seul objectif de contrôler un territoire donné. Faire rentrer l'impôt dans les caisses du Palais, alimenter les armées par la conscription et assurer la protection et la pérennité du monarque. Voilà quelles étaient les principales raisons d'être des États premiers, les moyens employés pour cela étant la standardisation (les mathématiques) et la mise en rang des individus. Avec le temps, et les révolutions, les organisations étatiques ont évolué, elles se sont davantage souciées du bien-être de leurs populations, mais les méthodes d'action, fondamentalement, n’ont pas changé. Par essence, comme le dit PJ Proudhon que nous avons choisi de citer en épigraphe de ce numéro, un gouvernement, quand bien même il serait le résultat d'un processus démocratique (ce qui est encore une autre question), fonctionne en gardant à vue ses gouvernés, en les inspectant, en les dirigeant, en les parquant, en les endoctrinant, en les estimant, en les censurant, en les commandant, en les espionnant. Nous ajoutons «en les infantilisant et en ne leur accordant aucune confiance». C'est bien ce que nous vivons depuis le début de cette épidémie. Nonobstant ses discours complaisants et convenus, notre Présidence n'a jamais estimé que nous autres, individus, étions à même d'utiliser notre matière grise (ou notre bon sens) pour comprendre la complexité des enjeux et adapter nos comportements aux circonstances. Depuis quinze mois, nous sommes obligés jusqu'au ridicule de nous soumettre à tous les ordres et contre-ordres (non finalement le masque il faut le mettre, oui, c'était grave quand il y avait 2500 malades en réanimation mais à présent qu 'il y en a 4500 on va pouvoir aller au restaurant) de ses porte-paroles. 

Nous employons à dessein le mot « Présidence » parce qu’encore une fois le problème n’est pas pour nous la Macronie, comme le pensent le gros des protestataires à courte vue, mais bien cette nouvelle divinité soi-disant républicaine qui se réincarne, un peu pour notre bien et beaucoup pour notre mal, tous les cinq ans sous les ors de l’Élysée. L'escalade sécuritaire que traduit la loi « Sécurité Globale » nous inspire les mêmes sentiments, et la même réticence, que la crise de la Covid. Pourquoi devrions-nous nous plier à des contraintes et à des privations déterminées par des priorités que nous n'avons pas choisies nous-même comme telles ? En vertu de quoi, au nom de quelle logique, devrions-nous renoncer à fixer nous-même le niveau de risque que nous souhaitons introduire dans notre existence. L’État-machine s’apprête à nous enfermer tous, pour notre bonheur, dans une prison à ciel ouvert. Est-ce ce que nous méritons collectivement ? À voir comment va le monde, parfois, on serait prêt à le croire. Et d’autre fois, notre foi en l’Homme reprend le dessus. Cela donne alors l’ambition du CAD, et de notre Grain : partager nos réflexions et nous élever ensemble, grâce à ce partage, vers une plus grande conscience, une plus large responsabilité et davantage de liberté individuelle. 

Pour ce faire, ainsi, vous allez pouvoir lire dans ce 8ème numéro d'abord le nouvel apport théorique de Jean-Gilbert. Grâce à sa profonde connaissance de l'histoire du mouvement, ou plutôt des mouvements anarchistes, Jean-Gilbert nous invite à repenser le présent à l'aune du passé. Est-ce que sont les hommes qui font la société ou alors la société qui fait les hommes ? Une question vieille comme le désir humain d'un monde meilleur qu'il est selon lui, comme vous allez pouvoir le lire, grandement nécessaire de continuer à se poser. Puis ça sera au tour de Patrick de vous proposer, dans la même lignée et sur le même mode informel que celui du regretté Marcel Diaz (décédé en 2020) puis de celui en deux parties de Ronald Creagh, un autre portrait d'anarchiste remarquable. Après la publication dans le dernier numéro du Grain de son article sur Ronald, Jean-Jacques Gandini, que nous avions cité dans celui-ci, nous a fait en effet savoir que nous avions commis quelques erreurs le concernant. Qu'à cela ne tienne. Nous avons saisi la balle au bond en lui proposant de rattraper notre bévue (des plus anodines au vrai) en faisant de sa personne notre prochain sujet d'interview. Il a répondu favorablement et vous allez pouvoir apprécier ce que cela donne.  Puis ça sera un retour historique aux sources de l'anarchisme avec le texte de Miguel Amorós sur Bakounine, expédié tout chaud en direct de Barcelone, nous avons juste eu à le traduire. Et puis, comme on s'aime bien au CAD, Toni a tenu publier quelque chose sur "L'eau des deux rivières". Cela sera le deuxième papier sur le roman de Patrick. Après, on vous promet, on n'en parlera plus. Enfin, Jean-Jacques, infatigable recenseur de tous les mouvements émancipateurs de la planète, à travers le livre de Jean-Luc Sahagian, nous dira quelques mots sur ce qui est arrivé en Arménie en 2018, une petite révolution passée quasiment inaperçue, mais que lui n'a pas ratée. Et parce qu'on ne peut plus se passer de lui, ce numéro 8 du Grain s'achèvera bien-sûr comme à l'accoutumée avec le billet d'humour de notre ami Daniel Villanova. Bonne lecture à tous !  

La Rédaction

TENDANCES

ANARCHISME : ÉVOLUTION ou RÉVOLUTION ?

   Depuis le milieu du XIXème siècle, le mouvement anarchiste s'est développé dans deux tendances profondes, ceux qui veulent détruire l'ancien monde et ceux qui veulent reconstruire un nouveau monde. Si ces deux axes ne sont pas contradictoires en apparence, et surtout pas sur la finalité de la création d'une société libertaire, dans l'histoire du mouvement, les figures, penseurs et activistes se sont plus avancés dans l'une ou l'autre voie.

À la fin du XIX° et au début du XX° siècle, à la fureur des bombes et des attentats, se développaient en parallèle les  phalanstères avec Godin, le naturisme avec Elisée Reclus, le végétalisme, l'éducation pour tous. Une partie des anarchistes, sans renier leurs liens avec le mouvement révolutionnaire, reprenait en quelque sorte le flambeau du socialisme utopique de Fourier, voire de Saint-Simon.

Le socialisme utopique et sa continuation libertaire se caractérisent  par leur méthode de transformation de la société qui ne repose pas sur une révolution politique, ni sur une révolution violente, mais sur la création  d'une contre-société libertaire au sein même de la société contemporaine. C'est la multiplication des projets de vie qui doivent progressivement remplacer la société capitaliste. Une espèce de contre-culture avant l'heure.

À coté, la frange activiste révolutionnaire du mouvement anarchiste de l'époque se structure sur des formes plus classiques et plus « conventionnelles » de l'action politique : syndicats, fédérations, mouvements un peu similaires à des partis politiques, internationales... Là, l'action revendicative, la grève, les manifestations, l'action clandestine, les meetings et leurs corollaires d'arrestations se succèdent.

L'anarchiste « révolutionnaire » est en guerre contre l’État, voire la société. L'anarchiste « évolutionniste » essaye de construire un nouveau monde.

Encore une fois, à l'aube de l'anarchisme moderne il n'y a pas d'antagonisme évident entre ces deux lignes. Mais l'Histoire, les guerres vont emmener de profondes distanciations entre elles et, paradoxalement, dans un milieu qui n'a jamais eu peur d'étaler ses différences, celles-ci vont être largement occultées, laissant croire que tous les anarchistes révolutionnaires construisent un monde alternatif et que tous les anarchistes évolutionnistes  pensent qu'abattre l’État est la première des priorités.

En France les prémisses d'un antagonisme des deux lignes viendra avec la guerre de 14, où une partie du mouvement libertaire approuvera la guerre au nom de la lutte contre le « pan-germanisme » (Gross Deutschland : une volonté d'hégémonisme des partisans d'un empire germanique sous domination de l'Allemagne), pendant que la partie dite  « évolutionniste » prend la tête du mouvement pacifiste. De la Révolution d'Octobre en Russie aux années 20 un immense espoir, à la fois d'une victoire révolutionnaire et d'un nouveau genre de vie avec les kolkhozes et les soviets, réunira nombre d'anarchistes dans un soutien sincère (mais heureusement éphémère) à la Révolution Soviétique.  Une fois la réalité mise à jour d'un État marxiste policier, dictatorial, répressif, les anarchistes français reprendront leurs voies syndicalistes révolutionnaires d'un coté et créatrices d'expériences anti-autoritaires de l'autre.

La deuxième guerre mondiale verra un effacement du mouvement anarchiste qui ne saura ni répondre aux prémisses des années 30 (remontée de l'antisémitisme, du fascisme...) ni apporter une réponse cohérente à l'arrivée de la guerre et de l'occupation qui seront mises sur le même

pied.

Dans les années cinquante une fracture se fera entre les anarcho-communistes de l'OCL de Fontenis (puis un grands nombre d'autres organisations  clairement révolutionnaires) et une fédération des mouvements pacifistes, évolutionnistes et syndicalistes réunis par Maurice Joyeux (syndicaliste) et Maurice Laisant (évolutionniste). Ce qui emmène dans les années 70 à des organisations quasi clandestines et paramilitaires comme l'ORA (1) et jusqu'à Action Directe et aux GARI (2). Alors que de l'autre coté se développait la « mouvance libertaire » faite de contre-culture, de communautés, d'art, d'expériences partagées diverses.  De ces années datent la question de savoir si les termes« libertaire » et « anarchiste » ont la même signification. « Oui » répondent certains au nom de l'Histoire passée. « Pas tout a fait » répondent d'autres au nom de cette différence entre « évolution » et « révolution ».

De nos jours, où les lignes de fractures se sont brouillées et les frontières idéologiques sont devenues perméables, ce débat  sur le mode d'action de l'anarchisme subit le même sort. On peut voir un chanteur prétendument fils spirituel de Léo Ferré appeler à un coup d’État militaire, des intellectuels venant de la mouvance libertaire créer des médias avec des intellectuels d'extrême-droite, des militants révolutionnaires côtoyer sur les ronds-points des militants populistes de tous bords, des « puristes » ne plus vouloir bouger de derrière leurs bières, des alternatifs jusque là réfractaires à toute organisation fricoter avec des partis marxistes, et des « écologistes libertaires » devenir survivalistes et prôner qu'il ne faut plus construire un monde alternatif mais un monde d'après la « catastrophe » de survie minimaliste.

Et pourtant la même question simple, primordiale, basique, constitutive de toute réflexion anarchiste demeure dans sa simplicité nue,  absolue : « faut-il changer l'Homme pour changer la société ?  Ou faut-il changer la société pour changer l'Homme » On sait depuis un siècle et demi que la réponse n'est ni simple ni simpliste, et qu'éviter d'y répondre clairement entraîne la perte de sens du mouvement anarchiste. Le renouveau d'une présence réelle de l'anarchisme dans notre société et sa capacité à influer sur le cours de la vie commence par la réponse à cette question.

(1) Organisation révolutionnaire Anarchiste, voir article suivant.

(2) Groupes d'Action Révolutionnaires Internationalistes

JEAN GILBERT IRIU

Pour aller plus loin, Jean-Gilbert vous conseille la lecture de Charles-Auguste Bontemps 1893-1981

Théoricien (entre autres) de l'évolutionnisme anarchiste dans " L’Anarchisme et l’évolution" (1956) et "L’Anarchiste et le réel" (1963), ouvrages édités tous les deux par Les Cahiers Francs. On peut trouver le texte intégral de "l'Anarchisme et le réel" sur Anarkia  http://www.anarkhia.org/article.php?sid=834

        PORTRAIT

JEAN-JACQUES GANDINI

UN ANARCHISTE SOUS LA ROBE

     Jean-Jacques Gandini, c'est d'abord une figure. Sa longue tignasse crêpelée et sa moustache vintage à la d'Artagnan sont incontournables dans le milieu militant montpelliérain. Son punch oratoire au service de ses prises de positions libertaires est aussi bien connu. Mais qui est l'homme qui se cache derrière le personnage? C'est ce que nous avons voulu savoir pour ce 8ème numéro du Grain. Un coup de téléphone et rendez-vous est pris pour les confidences dans le nouvel appartement où notre fraîchement retraité du barreau vient d'emménager avec sa compagne Lysiane en haut (une adresse qui sonne comme un clin d'œil) de l'avenue de la Justice. Jean-Jacques m'accueille dans son grand salon aux murs couverts de livres et de tableaux. Un plaid semé de jouets est étalé sur le sol en travers du passage. Chut… il va falloir parler doucement, son petit-fils, Marin-Makhno, fait la sieste. Je m'installe sur le premier fauteuil à ma portée et enclenche précautionneusement mon enregistreur vocal. J'attaque d'emblée avec la question cruciale: «Jean-Jacques, comment es-tu devenu anarchiste? »La réponse jaillit aussi sec. «Á la suite d'un séjour aux États-Unis. »La machine à parler est lancée. «J'étais parti l'année de ma terminale en séjour linguistique dans une famille de Santa Maria dans le comté de Santa Barbara en Californie. Dès mon arrivée, j'ai été heurté par la différence entre le discours libéral démocratique classiquement mis en avant dans la sphère médiatique et la réalité du terrain… »Jean-Jacques voyage vers le nord de l'État jusque dans la vallée de la Salinas . Dans une ambiance à la Steinbeck, il voit les ouvriers mexicains lesbeaners (1), comme on les intimé là-bas, le dos courbé dans les champs de salades, tandis que leurs employeurs, au volant de leurs avions pulvérisateurs, répandent au dessus de leur tête leurs herbicides chimiques issus de la biotechnologie agro- alimentaire yankee. «Les Mexicains étaient prévus comme des moins que rien. Dans Les hautes écoles américaines, la tradition veut que pour la fête de fin d'année chaque garçon des classes de terminale invite l'une des jeunes filles de sa promotion pour la conduite au bal en grand apparat. Ma copine du moment s'appelait Eddy, elle était d'origine mexicaine. Quand j'ai dit dans ma famille d'accueil que c'était avec elle que je comptais me rendre à la soirée, je me suis fait débouter. On m'a expliqué qu'Eddy, cela allait pour sortir avec elle, mais pour la fête officielle de l'école elle n'était pas convenable. »Du coup, pour marquer son mécontentement, Jean-Jacques n'invite aucune fille de l'école. Il va se rendre à la Senior Prom avec une lycéenne d'un autre établissement. «Tu découvres ta« capacité d'indignation », si je puis dire, avec cet épisode révélateur, mais tu devais déjà la porter en toi?

    — Probablement. Je suis né dans un milieu de cathos sociaux. Mon père était inspecteur principal des impôts. Avec son côté social, il se reconnaissait dans la personnalité politique de Pierre Mendès France. C’était quelqu’un d’assez ouvert, mais attaché aux conventions. Je crois que mon esprit de justice me vient plutôt de ma mère.  Elle était chrétienne dans le sens noble du terme, dans le sens humaniste, toutes les injustices la révoltaient. » Jean-Jacques est le premier des trois enfants de la famille. Papa Gandini ayant gardé un sentiment très positif de ses études chez les frères Maristes, il va à son tour envoyer son aîné chez les curés. « Je me suis retrouvé chez les Jésuites, avec un an d’avance en classe de 4ème. » Jean-Jacques prétend que son chemin de Damas a été son séjour aux États-Unis. Mais à l’âge de 13 ans, les méthodes éducatives des épigones de ce bon Ignace de Loyola avaient manifestement déjà fait tomber quelques écailles de ses yeux. « Tous les pensionnaires de la division des Moyens étaient regroupés dans un unique dortoir de 100 places. » La libido adolescente étant ce qu’elle est, les nuits sous les voutes de l’institution Saint-Joseph à Sarlat étaient souvent mouvementées. « Les plus anciens cherchaient régulièrement à rejoindre la couche des plus jeunes. » Jean-Jacques va vite comprendre la nature de ce qui se passait, et encore plus vite faire attention à ne pas s’y trouver mêlé. Mais quand, avec quelques camarades qu’il était parvenu à fédérer, il va essayer de dénoncer la chose aux pères enseignants du collège, ces derniers ne vont rien vouloir entendre. Non seulement son témoignage ne sera pas pris en considération, mais Jean-Jacques va aussi rapidement se rendre compte que lorsque certains de ses jeunes voisins de chambrée étaient convoqués en plein milieu de la nuit auprès de l’abbé supérieur, ce n’était pas « pour se faire conter fleurette ». Jean-Jacques ne sortira cependant pas plus traumatisé que ça de son passage chez la Compagnie de Jésus, son tempérament intellectuel lui ayant permis de dépasser ses affects. « Paradoxalement, il y avait chez eux des côtés très avancés. Le ciné-club, par exemple. Il y avait un père qui, en 1962, tiens-toi bien, avait programmé un cycle sur le cinéma soviétique. » Jean-Jacques va ainsi découvrir les films d’Eisenstein, de Donskoï. « J’ai vu Alexandre Nevski, Le cuirassé Potemkine, ou encore La Mère, tiré du roman de Gorki… » Il voit aussi O’Cangaceiro, le western brésilien révolutionnaire de Giovanni Fago. « Autant de films engagés que j’ai regardés à l’époque surtout comme des films d’aventure, mais qui m’ont sensibilisé à la lutte des classes. » Mais ce sont surtout “les humanités”, comme on disait en ce temps-là, qui intéressent Jean-Jacques. À travers l’étude du latin et du grec, il va se prendre de passion pour la mythologie antique, une passion encouragée par ses parents qui l’abreuvent de livres sur le sujet. « Quand je suis arrivé au lycée, par la suite, je me baladais dans ces deux matières.

     — Tu étais encore chez les Jésuites ?  

    — Non, à la rentrée de l’année 1962-63, je n’ai plus voulu retourner chez eux. » Ce refus va provoquer une dissension avec son père.  « En 1944, il avait pourtant lui aussi désobéi. Il avait refusé le STO et était parti se cacher dans le Vercors (juste assez tard pour rater la Résistance). » Mais l’insoumission de son rejeton, Papa Gandini ne l’accepte pas. « Devant ma détermination, il a finalement été obligé de céder. » L’inspecteur principal des impôts était à ce moment-là en poste à Bône, en Algérie. La guerre venait de se terminer. « Tu avais donc 14 ans. Tu as des souvenirs de la guerre d’Algérie ?

   — Pas directement. Je n’étais là-bas qu’en période de vacances scolaires. Bône était relativement préservée. J’ai passé ainsi toutes les vacances de l’été 1961 à jouer au foot, qui était alors ma grande passion sportive, et à me baigner à la mer (ça vous rappelle quelqu’un ?), en dévorant de croustillants beignets tunisiens qui suintaient l’huile. Je suis retourné pour la dernière fois à Bône à la Noël 61. À la suite du cessez-le-feu du 19 mars 1962, la situation s’est tendue, de telle sorte que je suis resté aux vacances de Pâques, avec mon frère Michel, chez mon oncle à Bourg en Bresse.

Si Jean-Jacques a raté sa première rencontre avec la grande histoire, son père, en revanche, a vécu la fin du conflit au plus près. « Il était très proche de ses collaborateurs arabes. Après les accords d’Evian, il a été ciblé par l’OAS. Son service a essuyé des tirs de mitraillette. » Après l’indépendance, Monsieur Gandini père restera encore quelques temps en Algérie pour aider le nouveau gouvernement FLN à la mise en place de son administration, tandis que Jean-Jacques poursuivra son chemin intellectuel.  « L’atavisme maternel, puis le passage chez les Jésuites, puis la guerre d’Algérie. Tous ces coups de coude du destin n’avaient pourtant pas encore réussi à faire éclore l’anarchiste qui couvait en toi ?

   — C’est arrivé, comme je l’ai dit, à mon retour des États-Unis, à Nice. J’avais dû refaire ma terminale car le bac que j’avais obtenu là-bas n’était pas reconnu en France. Un jour, un copain de classe, qui se disait marxiste et militera par la suite à la Gauche prolétarienne, m’a incité à lire La liberté de Bakounine, en me disant que cela devrait me plaire car je tenais les mêmes propos. Ç’a été le coup de foudre. À partir de cette lecture, je me suis ressenti anarchiste.

  — Comment Monsieur et Madame Gandini ont-ils reçu la nouvelle ?

    — Pas très bien, surtout mon père. Il avait la vision courante des anarchistes avec la bombe à la main.  Ma mère s’est montrée plus compréhensive. »

Jean-Jacques sera cette fois dans le bon timing avec l’Histoire. Moins d’un an après sa découverte de Bakounine, voilà que survient Mai 68. « Peu après mon arrivée à la fac de droit (il aurait voulu s’inscrire en sociologie, mais sa révolte n’était pas encore assez affermie pour résister au choix de la raison parentale), j’étais entré en contact avec un groupe de l’ORA(2) , le groupe Eugène Varlin. J’avais lu Marx pendant mes vacances. Cela m’avait fait sentir la faiblesse de l’analyse économique anarchiste. L’ORA avait l’ambition de rajouter la supériorité marxiste dans ce domaine à la pensée libertaire. Cela m’a séduit et j’ai adhéré au groupe Varlin. » Quand les premières grèves démarrent, c’est cependant des maos que notre futur avocat va se rapprocher. « Parce que c’étaient eux les plus actifs. J’ai intégré leur comité d’action. » Au début, Jean-Jacques trouve ses nouveaux compagnons de lutte un peu bizarre. « La révolution culturelle c’était assez flou pour moi… ». Elle le deviendra encore plus quand il sera amené à lire le n° 11 de la revue de l’Internationale Situationniste « qui émettait déjà une critique radicale des agissements de Mao. » Un Jean-Jacques que son intellectualité préserve des enthousiasmes aveugles, mais qui se laisse tout de même entraîner. « Nous allions porter la bonne parole dans les bidonvilles algériens et gitans du quartier de l’Ariane, l’envers du décor de la Promenade des Anglais et des paillettes niçoises. Certains Algériens se laissaient quelquefois convaincre de rejoindre nos rangs, mais les Gitans, ce n’était vraiment pas leur truc. » Jean-Jacques va aussi se confronter aux fascisants de la corpo de sa fac de droit. « En première année, il y avait un certain Michel Falicon qui était le leader local du mouvement néo-fasciste Occident – et qui allait devenir par la suite l’éminence grise de Jacques Médecin, le maire de Nice. Après la dissolution d’Occident, lui et ses affidés devaient rejoindre le mouvement Solidariste de Jean-Gilles Malliarakis, qui prônait une 3ème voie révolutionnaire. Leur slogan représentait un coup de pied donné simultanément à l’Oncle Sam, à l’Ours soviétique et à une caricature de Juif ressemblant à Rockefeller. Ils avaient un discours ambigu avec un contenu social auquel mordaient certains jeunes révoltés. J’étais le seul anarchiste de la fac de droit. Dans les bagarres contre eux, avec les maos du comité d’action, nous avons dû nous allier avec les cocos. »

 Les beaux rêves du mois de mai vont se faner. À la mi-juin, les dernières barricades du quartier latin sont démantelées et le triomphe gaulliste aux élections législatives deux semaines plus tard scelle le sort du mouvement. « Je suis reparti cet été-là aux US. Pour 99 $, j’ai acheté un ticket de bus Greyhound qui m’a permis de voyager sans limite à travers tous les États. » C’était peu après l’assassinat de Martin Luther King et de Robert Kennedy. Jean-Jacques va découvrir un nouveau pays. « Il régnait partout une ambiance très particulière. Á Chicago se tenait la fameuse convention nationale démocrate pour les présidentielles où le parti s’est trouvé mis en contradiction avec lui-même, où surtout Jerry Rubin et Abbie Hoffmann, avec leur mouvement Yippie (3) , organisèrent d’immenses manifestations contre la guerre du Vietnam, manifestations réprimées avec la plus grande violence par la police… » À Berkeley, Jean-Jacques va fumer un peu de marijuana, mais encore une fois sans exagération, en gardant toujours son contrôle de soi. « Quand je suis revenu à Nice, le drapeau Viêt-Cong flottait encore sur la fac de lettres. » Mais l’euphorie était retombée partout ailleurs au bord de la baie des Anges. 

Jean-Jacques va partir à Grenoble faire Sciences Po, tout en poursuivant son droit. «Je n'étais pas pressé d'entrer dans la vie active. J'avais dans l'idée de devenir journaliste. Sciences Po Grenoble m'a attiré parce qu'il y avait là-bas ceux qu'on appelait "les turbos profs", les grosses pointures parisiennes qui venaient en fin de semaine délivrer leurs cours, les mêmes qu'à Paris, aux étudiants du Dauphiné. »C'est là, à Grenoble, que la Chine qu'il avait un peu oubliée va le rattraper. En la personne d'abord de Jacques Guillermaz, puis de Guy Malouvier. «Guillermaz était un militaire atypique, diplomate et spécialiste de l'histoire du PC chinois. Dans son cours, il nous a parlé du bouquin de Simon Leys: Les habitudes neufs du président Mao.»Jean-Jacques va dévorer le livre. «Cela m'a confirmé ce que dénonçaient les situationnistes…» Mais c'est surtout Guy Malouvier, l'un des cofondateur de l'ORA qu'il rencontre par le biais de l'organisation, qui finit de lui dessiller les yeux sur la révolution culturelle. «Il m'a fait découvrir Pa Kin, la grande figure anarchiste de la littérature chinoise. Beaucoup de maos français, transfuges du PC pour la plupart, Pierre Victor alias Benny Levy, Serge July, ou encore Alain Geismar, pour citer les plus connus, étaient encore persuadés à ce moment-là que la Chine était le nouveau fer de lance de l'orthodoxie marxiste. Ils n'y voyaient pas plus clair que leurs prédécesseurs staliniens à l'époque des procès de Moscou. Ils gobaient le discours officiel chinois, comme quoi le parti c'était le peuple, qu'on ne faisait pas d'omelette sans casser des œufs, etc. »Jean-Jacques va trouver autre chose dans les textes de Pa Kin. «Après l'échec de son« Grand Bond en Avant », et la famine qui s'en est suivie au début des années 60, Mao s'est retrouvé en minorité au sein du Parti au profit de son rival Liu Shaoqi. Il a alors lancé la révolution culturelle en suscitant le mouvement des gardes rouges, mouvement composé principalement d'étudiants, pour «faire feu sur le quartier général» avec des mots d'ordre libertaires. En réalité, il profite d'une manœuvre politique afin de se rallier la jeunesse pour reprendre la main sur ses opposants du parti. Quand les Gardes Rouges, enhardis, ont remis en cause l'hégémonie du Parti, Mao a fait appel à l'armée et à son nouveau bras droit le maréchal Lin Piao pour à la fois reprendre la main au sein du Parti, en faisant emprisonner Liu Shaoqi, et liquider le mouvement révolutionnaire qui s'était fait jour. Des intellectuels renommés servirent de bouc émissaire, dont Pa Kin, qualifié d'herbe vénéneuse de l'anarchisme »qui fut cloué au pilori.» La synthèse est limpide. Pour revenir sur les fausses promesses libertaires de Mao, je demande à mon puits de connaissances quelle est l'importance de l'individu en Chine. J'ai droit alors à un long retour en arrière sur l'histoire du Céleste l'Empire, depuis la dynastie des Mings jusqu'à la révolte des Boxers et le mouvement nationaliste, en passant par les Mandchoues et le soulèvement Taiping Je suis obligé d'arrêter le flot: «D'où te vient cette passion pour la Chine?

   —  Dans mon enfance, la mythologie chinoise m’avait captivé au même titre que les légendes grecques ou nordiques. Puis je suis tombé sur le Tao. J’ai tout suite vu des correspondances entre la voie d’émancipation individuelle anti-conventionnelle, anti-autoritaire, que prônait l’enseignement de Lao Tseu et la pensée anarchiste.  

   — Et Pa Kin, alors ? Tu as pu le rencontrer ?

    — Presque. J’avais commencé à travailler sur lui à la fin des années 70. Nous correspondions, mais pour ce qui est d’une vraie rencontre physique la Chine était à cette époque encore difficile d’accès, Deng Xiaoping, le nouvel homme fort du pays, venant tout juste d’ouvrir celui-ci aux occidentaux. Il n’était pas encore possible dans ces premiers temps d’y aller tout seul. J’ai dû passer par les Amitiés Franco Chinoise, la vitrine du gouvernement chinois en France. » Nous sommes en 1986. Jean-Jacques va se rendre en Chine avec un visa touristique. « Dès mon arrivée, j’ai proposé à Pa Kin de venir le voir chez lui à Shanghaï. Malheureusement, il était déjà très malade à ce moment-là. J’ai n’ai pu qu’échanger avec lui par téléphone. » Ce voyage va néanmoins permettre à Jean-Jacques de faire aboutir ses deux premiers livres : Pa Kin, le coq qui chantait dans la nuit et Aux sources de la révolution chinoise, les anarchistes : contribution historique de 1902 à 1927, publiés tous les deux à l’Atelier de création libertaire. « Sur le retour, lors de mon escale à Hong-Kong, j’ai pu aussi retrouver des copains anarchistes chinois, Mok Chiu-Yu et Guo Danian, que j’avais connus deux ans plus tôt lors de la Conférence internationale anarchiste de Venise, où j’avais présenté un travail sur Orwell. » Mon homme pressé a fait un bond dans le temps. Je le ramène à la chronologie. « Qu’est devenu l’étudiant en sciences po ?

   — J’avais dans l’idée de faire un doctorat pour me lancer ensuite, comme je l’ai dit, dans le journalisme. Mais il s’est passé deux choses : d’abord le sujet de thèse que j’avais choisi dans la lignée des travaux de Hannah Arendt, une comparaison entre les totalitarismes nazi et stalinien, a été refusé par le trotskyste Pierre Broué qui dirigeait alors le département d’histoire contemporaine de l’IEP de Grenoble, et ensuite… il m’est apparu en chemin que mon programme était un peu trop déconnecté du réel, trop lointain. La cause dans laquelle je m’étais engagé me réclamait immédiatement. Je me suis donc inscrit au CAPA pour devenir avocat, afin de défendre au plus vite mes copains de lutte. » Le droit comme une arme au service de la justice. Son diplôme obtenu, Jean-Jacques va mener son premier combat contre une loi anticasseurs jugée abusive par la mouvance gauchiste. « Entre temps, tu t’étais aussi intéressé à l’Espagne… ?

   — Il y avait à Grenoble un milieu libertaire espagnol assez important, encore pas mal actif. J’étais entré en contact avec plusieurs anciens de la guerre civile, cénétistes pour la plupart, par l’entremise de l’ORA. Certains d’entre eux étaient encore prêts à mener des actions directes contre le pouvoir franquiste. J’ai appris auprès d’eux à mieux connaître la révolution espagnole et ses réalisations. » Puis est venu le moment de poser sa plaque. « À Grenoble, j’étais trop assimilé à mon militantisme. Il me fallait prendre du recul. J’avais envie de revenir vers les bords de la Méditerranée, mais j’avais tracé une croix sur Nice. Ayant quelques attaches sur Montpellier, j’ai pu y trouver un stage. Finalement, je m’y suis installé. » À Montpellier, Jean-Jacques va retrouver l’Espagne. « L’ORA était devenue vraiment trop marxisante pour moi, et la FA était la chasse gardée d’un petit noyau parisien. Par le biais de Marianne Enckell du CIRA de Lausanne, j’ai fait la connaissance de Louis Mercier-Vega, ancien de la colonne Durruti, qui venait de fonder la revue quadrilingue « Interrogations » et m’a mis en contact avec son correspondant sur Montpellier, Ronald Creagh. Ronald est devenu rapidement un ami, et il l’est toujours plus de quarante ans après. » Pour en revenir au « volet espagnol », Jean-Jacques va également rencontrer dans la région au fil des années Pepita Carpena, Jacques Garcin (ancien membre des GARI), Antonia Fontanillas (la première compagne d’Abel Paz), Daniel Villanova et bien d’autres. « En 1994 nous avons organisé les journées libertaires de Montpellier, journées qui ont remporté un grand succès. » Puis ç’a été la création du CAD. « Diego lui-même (Abel Paz) est venu nous trouver en nous disant qu’il était à la recherche d’un endroit pour accueillir son fond d’archives. Tout était plein à Barcelone. Est-ce que cela nous intéressait de créer un athénée à Montpellier autour de sa bibliothèque ? C’est ainsi qu’est né le CAD. »  Les livres qui le rattrapent toujours. « C’est vrai. Comme avocat, j’ai d’ailleurs débuté dans la défense de l’édition, avec comme clients beaucoup d’éditeurs alternatifs et d’écrivains en butte à des problèmes de diffamation. Mais au-delà des livres, ce qui m’a le plus intéressé dans mon métier, c’est la défense des gens au quotidien : le droit de la consommation, du logement, le droit social. » Jean-Jacques va défendre la cause de nombreux squats, dénoncer la spéculation immobilière. En 1979, il intègre le Syndicat des Avocats de France (qu’il présidera en 2013-2014) où il essaie là aussi de faire passer ses idées libertaires. « Ensuite… » Je jette un coup d’œil à mon enregistreur. J’ai déjà de quoi remplir beaucoup plus de colonnes que celles qui me seront accordées dans le Grain. Comme la suite de ses engagements (la défense des libertés individuelles, la dénonciation de l’utilisation intempestive de l’ADN, du fichage des enfants dans les écoles et tant d’autres jusqu’à son combat d’aujourd’hui contre la loi sécurité globale) est plus connue, ou plus facilement connaissable, je le pousse vers la conclusion. « Finalement, c’est quoi, pour toi, être anarchiste ?

  —  C’est se savoir minoritaire, mais être une minorité agissante. Même dans les carcans politiques les plus étroits, comme celui dans lequel se trouve emprisonné la Chine aujourd’hui, les idées de liberté reviennent toujours. C’est comme ça dans tous les peuples et à toutes les époques.  L’anarchisme aura ainsi toujours un rôle à jouer. Je veux dire, les systèmes peuvent être le plus autoritaires du monde, ils auront toujours des fissures. C’est dans ces fissures que les anarchistes doivent s’engager.

  — Tu restes donc optimiste pour le monde dans lequel le petit Marin-Makhno, qui ne va sans doute pas tarder à se réveiller, va devoir vivre ?

 — Je l’ai toujours été. J’ai donc envie de répondre encore une fois oui. Fondamentalement l’être humain a besoin de vivre en société, mais les sociétés ne peuvent pas être tout le temps tenues par la force et la violence.  Pour qu’elles puissent prospérer, elles ont besoin de valeurs positives : la liberté, l’égalité des droits, la solidarité. Il y aura toujours des épines dans les pouvoirs qui voudront empêcher leur main mise sur les individus. Nous autres, les anarchistes, sommes les épines.»

Jean-Jacques Gandini. Si vous en voulez encore, venez, dès que nous aurons retrouvé notre liberté, l’écouter au CAD. Il est encore plus convaincant en vrai.

(1)Mangeurs de haricots, terme péjoratif employé aux US pour désigner les Mexicains. 

(2)Organisation Révolutionnaire Anarchiste, scission de la FA de tendance communiste libertaire fondée en 1967 et dissoute en 1976. 

(3) De Youth International Party, parti politique anti-autoritaire issu des mouvements anti-guerre des années 60.

PATRICK FORNOS

                  JEAN-JACQUES GANDINI

"Chine fin de siècle : tout changer pour ne rien changer", Jean-Jacques Gandini, Atelier de création libertaire, 1994

"Chine fin de siècle II : China Incorporated", Jean-Jacques Gandini, Atelier de création libertaire, 2000

"Où va la Chine ? : dix ans après la répression de Tien'anmen...", Jean-Jacques Gandini, Les Éditions du Félin, 2000

"Anthologie des droits de l’Homme", Jean-Jacques Gandini, Librio, 1998,

RÉTROSPECTION

REDÉCOUVRIR BAKOUNINE

 La crise présente du système parlementaire, système aux mains d'une caste politique atteinte de la maladie du césarisme et au service d’intérêts économiques douteux, rend étonnement actuelle la figure de Mikhaïl Bakounine (1814 - 1876). La vie quasi romanesque de ce personnage historique du socialisme ouvrier, son amour pour la liberté, sa persévérance exemplaire dans ses luttes et son analyse originale de la réalité sociale de son temps, font en effet de lui une référence attrayante pour le radicalisme contemporain. Au-delà des poncifs auxquels l’histoire officielle l’a souvent réduit, « père de l'anarchisme », « conspirateur enragé », ou encore « rival acharné de Marx », pour peu que son parcours soit étudié avec l’objectivité que requiert un travail sérieux, les stéréotypes pourront être mis de côté et Bakounine regagnera alors la place qui lui revient au sein de la pensée révolutionnaire.

Le pas franchi par un jeune idéaliste russe, de la philosophie spéculative à l'action subversive, n'a rien d'étonnant quand on sait que la Russie tsariste proscrivait à cette époque toute liberté de penser, et que les cercles de débat philosophique étaient obligatoirement clandestins. En s'éloignant de l'autocratie russe, Bakounine va pouvoir prendre la mesure in situ de la décomposition matérielle et intellectuelle de la vieille Europe en passe de s'effondrer. Ce choc avec la réalité lui fera abandonner l'abstraction. Il oublie pour toujours la métaphysique pour se jeter dans le tourbillon de la révolution. Bakounine ne va dès lors plus miser que sur la vie réelle, sur la vérité contenue dans le devenir historique, et sera ainsi amené à se plonger dans les révoltes populaires contre l'absolutisme monarchique avec l'intention de dépasser les horizons bourgeois.

Ses influences, qui vont de Hegel aux thèses de la Première Internationale, en passant par Proudhon et Auguste Comte, sont facilement identifiables dans ses écrits*qui sont pratiquement toujours circonstanciés, mais nous n'y trouvons jamais les éléments d'un système susceptible de se convertir ni en une doctrine, ni en un répertoire de recettes politiques intemporelles ou de réponses à tout. En revanche y sont présentes une méthode et une perspective historique qui donnent une cohérence à ses apports et incitent toujours aujourd'hui à d'intelligentes investigations.

La contribution théorique de Bakounine qui demeure encore la plus actuelle est sa critique de l’État. « Petit frère de l’Église », il considère l’État comme déterminé dans sa forme moderne par le mode de production capitaliste, et qui devient à son tour une condition nécessaire à cette production. Toute révolution qui s’arrête aux parlements, c'est à dire toute révolution bourgeoise, débouche sur l’État où s'organisent les intérêts de classe.

En vérité, le pouvoir de la bourgeoisie se consolide également sous le drapeau du socialisme, étant donné que la fonction d'un gouvernement « socialiste » ne consiste pas à promouvoir la liberté civile, mais à développer l'économie de marché. Un tel État concourt ainsi lui aussi à renforcer l'exploitation des ouvriers et des paysans. Pour que la révolution soit sociale, les intérêts des opprimés doivent s'ordonner non pas de haut en bas, mais de bas en haut par le biais de la libre fédération, sans bureaucratie ni concentration de pouvoir. Pour Bakounine, il faut se passer de la politique et, dès le départ, abolir l’État.

Au siècle où la révolution était à l'ordre du jour, nombreux étaient ceux qui pensaient que tout mouvement lancé par des exploités qui n'auraient pas d'objectif

révolutionnaires immédiats était voué à se transformer en un instrument au service de la bourgeoisie. Les classes moyennes regorgeaient d'intellectuels sans futur, de philanthropes, d’intermédiaires déclassés et autres « exploitants du socialisme » susceptibles de permettre la mise en place d’un despotisme à prétention « scientifique », sans même les apparences de la représentation populaire. D'après les postulats du socialisme parlementaire, les masses ne seraient libérées qu'à la condition de se soumettre aux diktats de l’État émanant de dirigeants éclairés par une doctrine infaillible. La critique de l’État de Bakounine se complète ainsi par une critique de la caste politique alimentée par celui-ci et les lieux communs constitutifs de l’idéal bourgeois de servitude volontaire : le devoir citoyen, les élections, l’intérêt général, la représentativité, les majorités, le respect de la loi, etc. Enfin, ce qui ressort clairement des écrits de Bakounine, c'est sa vision aiguisée de la dégénération étatiste de la plupart des élites révolutionnaires. Lui place son entière confiance dans la passion créatrice des masses. Pour lui, la révolution n’a pas besoin de chefs (quand bien même s'il s'agirait d'hommes de science), non plus d'avant-garde dirigeante, ni de conventions, ni même de gouvernement « prolétaire », et encore moins si ces derniers prétendent à des pouvoirs d'exception. L’auto-organisation des masses doit servir d'antidote à la centralisation de l’État, immanquable source de corruption bureaucratique qu'il faut à tout prix éviter. L’État prolétaire est un non-sens. Il donne nécessairement lieu à la formation d'une nouvelle classe privilégiée d'experts, de fonctionnaires et d'apparatchiks. Même s'il est d'origine ouvrière, l’État cesse sur le champ d’être au service des ouvriers dès l’instant où il se constitue. Les ouvriers qui gouvernent défendront toujours des intérêts de classe étrangers au prolétariat : ceux de la « bureaucratie rouge », la plus grande aberration produite par le communisme autoritaire. En peu de temps, l’État absorbe toute l'activité sociale, la production, la pensée, la culture… et avec l'aide d'un contingent de forces de l'ordre, il transforme la révolution en un despotisme de la pire espèce qui, loin d'instaurer le règne de l'égalité et de la liberté, intronise une nouvelle bourgeoisie, plus vorace et plus prédatrice encore que l'ancienne.

L’héritage de Bakounine, son testament politique, repose sur ces critiques des plus sagaces.

MIGUEL AMORÓS

(traduction Sonia et Patrick)

Miguel Amorós est historien. Il a écrit de nombreux ouvrages sur les questions sociales et sur l'anarchisme en particulier. Il vit à Barcelone.

 

"Les situationnistes et l'anarchie", Miguel Amorós, Éditions de la Roue, 2012

COPINAGE

RETOUR SUR "L'EAU DES DEUX RIVIÈRES" DE PATRICK FORNOS

  C'est pour nous un grand plaisir de présenter aux lecteurs du Grain le dernier roman, récemment paru chez Balzac Éditeur, de notre camarade Patrick Fornos. Il s'intitule L'eau de deux rivières- Ángel. Il s'agit de la première partie d'un roman au long cours qui, pour les besoins de l'édition, a été divisé en deux volumes.

Si l'on compare L'eau de deux rivières à son précédent roman, La braise de coquelicots (2012), il apparaît que Patrick nous propose cette fois-ci un texte d'une beaucoup plus grande ampleur.

Ce qui ressort d’emblée de la lecture, c'est la profonde connaissance (pour ne pas dire l'intimité) que Patrick a de l'Espagne, de son histoire et des gens qui l'habitent. Ceci n'est certainement pas uniquement dû à ses origines familiales espagnoles, il y a aussi de sa part, à l’évidence, un engagement moral, et même esthétique, envers ce pays. À la différence de La braise des coquelicots, où la tragédie espagnole de la guerre civile n’était que le fond symbolique de la narration, L'eau des deux rivières nous plonge directement dans l'époque qui précède l’avènement de la République et le début de la guerre et de la révolution sociale de 1936. Pour construire cette histoire, Patrick s'appuie autant sur l'histoire de sa propre famille que sur celle du village dans lequel se déroule l'action, en changeant les noms et en prenant les libertés légitimes à tout auteur. La localité fictive catalane de Santa-Coloma de Freser, à la confluence de deux rivières, est le cadre dans lequel les personnages s'installent, grandissent, se rencontrent et, une fois le rideau tiré sur l’épisode initial de l’accident tragique dans les Pyrénées Orientales, évoluent jusqu’à l’éclatement de la guerre.

Ángel est le personnage central du récit, mais il n'accapare pas pour autant l’entière trame de celui-ci. Il est le lien entre le drame déclenché par la petite histoire et la grande tragédie à venir qui va plonger le pays dans la guerre civile.

D'une certaine façon, Ángel est le symbole vivant d'une offense irréparable, de la blessure ouverte d'un peuple pauvre et humble marqué par la souffrance. Pour Ángel, la fin obscure de son père est entourée d'un voile de mystère qui le conduit peu à peu à la lumière, à la révolte contre les conditions misérables et l'exploitation de sa famille. Angel prend graduellement conscience de l'injustice sociale que subissent sa mère et ses frères, injustice qui les condamnent au désemparement. Si dans un premier temps la révolte d'Angel est presque uniquement d’ordre métaphysique, le cri d'une juste colère contre un Dieu tyrannique et indifférent, elle évolue ensuite, au fur et à mesure que son personnage découvre que l'origine de son infortune réside dans la nature même de la société de classes, vers une révolte d’ordre politique.

La narration rend aussi compte de la complexité de la situation historique de l’époque au travers de divers personnages. La somme des trajectoires individuelles de ces derniers nous dévoile peu à peu le chemin qui va conduire l'Espagne vers la catastrophe. Ce tragique mouvement historique collectif est constitué de moments privés particuliers que chaque personnage vit de façons très différente selon les circonstances qui lui sont propres et ses attentes spécifiques.

Ainsi, alors que l'on assiste à l'engagement politique progressif d’Ángel, les personnages de Colette et de sa famille, prototypes d'une classe modeste qui vit les turbulences des années de la République avec beaucoup d'espoir, évoluent eux aussi. La société que décrit Patrick est ainsi pleine de vitalité, en perpétuelle agitation. Au fil du récit, les principes progressistes qui l’animent vont gagner du terrain sur les dogmes de l’Église et de la tradition.

Le style est simple, teinté d'ironie et de tendresse. Un des mérites de ce livre est à mes yeux qu'il évite toujours judicieusement le manichéisme. Dans un contexte historique où l'on aurait pu s'attendre à un positionnement de l'auteur en faveur de l'un ou l'autre des courants qui agitaient alors la société, le livre nous montre au contraire la grande complexité sociale et idéologique de l’époque. Patrick ne recule pas devant les paradoxes. Ainsi écrit-il (en parlant de l’une des lois de la guerre) « celle qui fait que ceux qui se prenaient pour des consciences autonomes, libres de leurs choix et de leurs actes, sont renvoyés à leur assujettissement aux autres consciences, et ceux qui mettaient le collectif au-dessus de tout dégringolent de leur nuage en réalisant leur irrémédiable solitude ».

Je dois confesser qu'à la lecture de ce roman j’ai souvent eu l’impression de parcourir les pages d'auteurs illustres de la littérature espagnole (je pense à Galdós, à Azorín, à Baroja, à Sender…). Patrick est parvenu avec beaucoup d'habileté à décrire (et à nous intéresser à) la vie de gens ordinaires. Il évoque avec beaucoup d’humanité et de sympathie les coutumes villageoises, en rendant très bien compte de l’éternel et innocent espoir de ces gens simples, qui, génération après génération, luttent pour leur existence. Tout ceci constitue un tableau vivant et vrai dans lequel prend place un épisode crucial de l'histoire contemporaine. Le choix de l’auteur est justement de relater les grands mouvements de la société au travers de ses acteurs les plus injustement frappés, pour révéler la vieille et douloureuse vérité de la domination.

Que dire de plus ? Les dernières pages nous laissent dans l'attente de la suite. Espérons que le deuxième volume ne tardera pas trop.

TONI GARCIA

(traduction Sonia)

 

"L'eau des deux rivières", Patrick Fornos, Balzac Éditeur, 2020

Toujours en rayon dans les bonnes librairies de Montpellier !

ON  A  LU

Jean-Luc Sahagian

L’EBLOUISSEMENT DE LA REVOLTE

Récits d’une Arménie en révolution

         L’auteur, jeune franco-arménien marseillais, s’est retrouvé aux premières loges dans la capitale de l’Arménie lors du vaste mouvement de désobéissance civile en avril-mai 2018 qui, par le biais d’une stratégie non-violente, a chassé du pouvoir l’ancienne classe dirigeante parasitaire et corrompue, issue de l’éclatement de l’Union Soviétique en 1991, prompte à réprimer tout opposant politique. C’est l’éblouissement de cette révolte qu’il nous narre, menée par « le petit peuple d’Erevan qui défilait tous âges confondus ». Il a eu la chance rare de « vivre ces moments où l’obéissance est morte, où la résignation quotidienne a disparu », où la peur change de camp. 

Révolution, changement de régime ou simple modernisation ? Toujours est-il que ce grand mouvement populaire  a donné l’impression aux Arméniens qu’ « il était possible d’intervenir directement dans la

 gestion de la société ». Un petit parfum de Mai 68 : « Etre chez soi au milieu d’inconnus, c’est cela qu’on a pu vivre pendant la révolution arménienne ». 

JEAN-JACQUES GANDINI

"L’éblouissement de la révolte : récits d’une Arménie en révolution", Jean-Luc Sahagian, Editions CMDE, Toulouse, 2020, 96 pages, 13 euros

CE QUE VOUS AVEZ (peut-être) RATÉ

  On aurait aimé vous dire que depuis notre dernier numéro vous êtes passé à côté (pour les peu assidus) de beaucoup de choses, malheureusement la persistance de l'épidémie a fait que le CAD, comme tous les lieux d'échange et de rapprochement, a fonctionné lui aussi au ralenti.  La plupart des évènements que nous avions déjà été obligés de déprogrammer en 2020 sont à nouveau restés dans les cartons. Ainsi, nous n'avons toujours pas pu recevoir Octavio Alberola pour la projection au Cinéma Diagonal du film sur sa vie "La Brèche", ni le trio composé de Maria Antonia Ferrer, Fernando Casal et Marc Tomsin pour la présentation de leur livre sur notre regretté Diego, ni Miguel Amorós qui, s'il nous a fait l'amitié de contribuer à ce 8ème numéro en nous envoyant son grain de sel sur Bakounine, devra lui aussi encore attendre pour venir nous parler à Montpellier "en présentiel", comme on dit désormais, des "Amis de Durruti". La rencontre-débat en partenariat avec La Carmagnole prévue le 9 mai autour du 150ème anniversaire de la Commune (on avait gardé espoir), au vu de la politique ultra drastique de la Mairie de Montpellier en matière de conditions sanitaires pour le Théâtre Rabelais, n'a pas pu avoir lieu elle non plus. Voilà pour l'immobilisation. Parlons maintenant du "ralenti". Dans la situation inédite qu'il nous était donnée de vivre, face à la sidération de la plus grande partie de la population et son acceptation factuelle, même si avec des grognements et de la mauvaise grâce, de la plupart des décisions gouvernementales, nous avons dans le courant du mois de novembre souhaité nous réunir, quelques-uns du CAD, afin de réfléchir ensemble à notre positionnement face à l’autoritarisme débridé dont continuait à faire preuve l’État dans sa gestion de la crise sanitaire. Quelle réponse libertaire pouvions-nous donner au nouvel ordre sociétal qui est en train de se mettre en place, non seulement en France, mais un peu partout dans le monde. Il ne s’agissait nullement pour nous de minorer le danger que représente la Covid. Ni de prétendre apporter des réponses simples, toute faites, à la complexité de la situation.  Mais plutôt de savoir quelle attitude adopter en tant que libertaires. La réponse qui nous a paru évidente est qu’il fallait continuer dans le principe de responsabilité individuelle qui est la base de la pensée anarchiste. Nous avons ainsi décider de poursuivre un minimum d'activités au sein du CAD, en ayant conscience, bien évidemment, que notre attitude risquait de heurter certaines personnes, et en nous efforçant par conséquent de l'expliquer le plus largement possible. Dans notre même souci des autres, il nous a aussi semblé que la poursuite de la vie de notre lieu était importante pour conserver du lien humain dans cette période si difficile, nos groupes de sensibilité libertaire devant être des espaces de solidarité et de réconfort pour ceux qui vivaient mal le confinement et ses conséquences.  Sur la proposition de Vincent, ainsi donc, en respectant les précautions sanitaires indispensables, nous avons organisé dans la foulée une conférence-débat, un retour dans le temps, sur le succès de l'appel à la mobilisation d'août 1914. "Penser la fabrique du consentement". Il nous a semblé que ce qui s'était produit à l'aube de la Grande guerre, où deux millions et demi de jeunes Français étaient partis, au claquement de doigt de "l'Union sacrée", rejoindre leur régiment, pouvait être mis en parallèle avec la situation actuelle. Il est ressorti de la soirée que les choses ne s'étaient pas passées aussi simplement. Tout le monde n'est pas parti pour l'hécatombe "la fleur au fusil" comme a voulu le faire croire une historiographie accommodante. Comme pour la loi de la Covid, c'est la puissance de l'État, et ses moyens de coercition, qui ont mis toute la population en rangs et emporté même les plus réfractaires.   

La fleur au fusil ?

Puis nous avons continué dans notre ligne avec la projection de plusieurs films, les deux premiers volets notamment de la magnifique série documentaire de Tancrède Ramonet sur l'histoire de l'anarchisme : "Ni dieu ni maître", "La volupté de la destruction" pour le premier et "La mémoire des vaincus" pour le second. Enfin, pendant tout ce temps de disette sociale,  en dépit des couvre-feu, des confinements et autre limitations, en nous gardant bien encore une fois de toute embrassade ou autre effusion affective, nous nous sommes efforcés de maintenir nos réunions de travail et d'entretenir l'amitié. Que dire de plus ? Que l'avenir n'est pas un temps qui arrive, mais un temps que l'on fait. On espère ainsi qu'au prochain numéro du Grain, grâce à nos efforts à tous, la Covid ne sera plus un sujet, mais un souvenir. En attendant, retrouvons notre ami Daniel pour terminer en en riant.

LE FENESTROU DE L'ANARCO

UNE PETITE ANECDOTE EN GUISE DE CLOU FINAL, OU DE COUP DE PIED DE L'Â NE

       Il y a quelques années déjà (Ah ! que le temps passe vite !), j'avais rejoint un groupe de militants de la Maison des chômeurs de Montpellier qui avait décidé d’occuper le siège de la Fédération Départementale du Parti Socialiste. L'inénarrable Jospin, qui régnait alors sur le pays, avait encore (et déjà) fait des siennes avec son gouvernement en matière de régression sociale.

Nous investîmes donc le local à la rose, et, par la voix de leur porte-parole, les militants exigèrent la venue immédiate du premier secrétaire de la fédération héraultaise, qui était à l'époque un certain Robert N. C’était un petit chefaillon sans 

grande stature mais bouffi d'ambition, qui portait beau et était éternellement bronzé dans sa chemise immaculée et son costume de flanelle bleu d'azur.

Enfin, il arriva. Sans se démonter (une chance pour nous, car faute de notice nous n'aurions pas su comment le remonter), il se hissa sur la pointe de ses mocassins pour tâcher d'être à la hauteur des circonstances. D’entrée, il nous cracha son discours électoral prémâché : « En agissant ainsi, les amis (sic !) vous ne faites que précipiter le retour au pouvoir de la droite ! »

Du coin où je me trouvais, je ne pus m’empêcher de lui lancer : « Ah, bon ? Parce qu'elle n'est pas au pouvoir, la droite ? »

Sous les rires de l'assistance, je sentis l'arrogant vaciller dans ses mocassins.

Me fusillant du regard (depuis Jules Moch les socialistes s'y entendent en fusillades), le petit costumé me rétorqua : « Oh, vous, Villanova, fermez-la (comme s'il suffisait de le dire) ! On vous connait, vous êtes le comique troupier de l'anarchie ! »

Je ne sais quel daïmon (1) , quel ange ou quel diable m'inspira alors, mais sans que mon cerveau ne semble y prendre aucune part, je m'entendis lui répondre, du tac au tac : « Hé bé, je préfère être le comique troupier de l'anarchie que le Tartuffe du socialisme comme toi ! »

Le tutoiement a toujours été chez moi une preuve d'affection.

Daniel Villanova 

(1)Le daïmon est chez Socrate le génie personnel qui inspire la bonne idée, l’à-propos. 

Retrouvez le pour son retour en scène le 21 mai au Théâtre de la Cigalière de Sérignan et le 23  mai à la Salle des Fêtes de Blaye les Mines.

 

www.daniel-villanova.com

Voilà, c'est tout pour cette fois. Si vous aimez nous lire, on vous rappelle que le CAD a aussi une existence physique. Dès que nous aurons retrouvé notre vie d'avant, n'hésitez pas à venir pousser la porte de notre bibliothèque et de participer à nos évènements. En attendant vous pouvez nous écrire à : 

le-grain.cad@laposte.net

ascaso-durruti.info/accueil.htm
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