Le Grain du CAD

Numéro 6-mars 2020

Si nous n'adorons plus les dieux de nos ancêtres c'est, entre autres raisons, que nous nous trouvons sous plusieurs rapports moralement au-dessus d'eux. 
Jean-Marie Guyau, "Esquisse d'une morale sans obligation ni sanction"

 

ÉDITO

Bonjour et bienvenue dans ce nouveau numéro du Grain. Un numéro que l'on voudrait de transition. En effet, nous aimerions à l'avenir agrandir l'équipe rédactionnelle de notre journal afin de diversifier les points de vue et les centres d'intérêts. Nous souhaitons collecter des articles plus courts pour être moins lassants, plus collés à l'actualité pour participer aux débats de société avec nos perspectives libertaires multiples, mais éclairants et entièrement écrits (et signés) pour le Grain, afin d'éviter de relire ce que l'on a déjà lu dans telle ou telle autre publication.

Nous réfléchissons aussi à une nouvelle forme. Nous voulons faire évoluer la présentation actuelle du Grain vers celle d'un vrai journal à pages, plus facile à lire, à feuilleter, à appréhender, à poser, à reprendre. 

Nous lançons donc un appel à bonnes volontés pour écrire, commenter, nous indiquer tel ou tel logiciel (gratuit) de mise en pages facile à utiliser.

En attendant ces évolutions, dans la promenade que nous vous invitons à faire dans ce dernier numéro "à l'ancienne", vous retrouverez une interview originale de notre ami Ronald Creagh, consacrée à sa vie hors du commun. La deuxième partie, à paraître dans le prochain numéro du Grain, traitera de son cheminement intellectuel, de son œuvre et de ses actions dans le milieu libertaire. Vous trouverez aussi un article de notre camarade Guy Michel qui lance le débat sur la PMA. Sa position est une position parmi d'autres sur un terrain sensible. Son texte a  

un double mérite. Celui de poser une opinion argumentée et tranchée sur un sujet de société. Et celui de titiller le lecteur, de nous inciter à apporter une réponse contradictoire ou non. En période d'élections municipales, comment ne pas évoquer Murray Bookchin et le municipalisme libertaire ? Jean-Gilbert s'en est chargé. Une rappel de mémoire salutaire pour là aussi nourrir le débat : élections, toujours piège à cons ? Big brother is watching you. On ne dénoncera jamais assez l'effet pervers des collectes d'informations à grandes échelles et des "réseaux sociaux", de la culture qu'ils généralisent dans nos populations occidentales au désavantages de nos libertés et de nos individualismes. Avec sa "Mémoire vive", Patrick nous met à son tour en garde. Toni, partant d'un compte-rendu d'un débat qui a eu lieu au CAD, nous présente un livre de Renaud Garcia : "Pierre Kropotkine et l'économie par l'entraide". Il nous décrypte rapidement quelques aspects du débat actuel sur la collapsologie. Enfin, à travers un court poème de Lao-Tseu, Jean-Jacques nous invite à nous plonger dans la philosophie libératrice et dans l'ouvrage de Jean-Francois Billetier "Esquisses".

Bonne lecture ! Nous comptons sur vous pour nous renvoyer vos avis, ressentis et informations. Ou pour le dire autrement, mettez-y vous aussi votre grain de sel.

 

ÉLECTIONS

LE MUNICIPALISME LIBERTAIRE

 

Au moment où les élections municipales sont là, et où des voix anarchistes vont s'élever pour faire entendre le sempiternel « élections, piège à cons », il faut peut-être se souvenir que d'autres voix anarchistes ont prôné l'utilisation des élections municipales comme base de conquêtes sociales et point d'appui d'une avancée de l'idée libertaire dans la société.

Passons rapidement sur les maires anarchistes et les participations aux conseils municipaux comme aux Marêts en Seine-et-Marne (1997-2007), à Merlieux dans le Nord (1973), à Saillans dans la Drôme (2014), ou encore à Reykjavik en Islande de 2010 à 2014. Passons sur la complexe histoire de la Fédération Communiste Libertaire de Fontenis et sa participation aux élections de 1956. Passons sur les initiatives personnelles comme celles d'Aguigui Mouna et de Coluche dans la rubrique clowns satyriques, ou celle de Serge Livrozet détournant la campagne pour faire connaître le CAP (Comité d'Action des Prisonniers). Toutes ces expériences sont intéressantes et demanderaient d'être étudiées.

Penchons-nous sur Murray Bookchin et le municipalisme libertaire. Murray Bookchin (1921-2006) est un américain écologiste libertaire. Après avoir traversé toute l'étendue de l'extrême gauche américaine, il a développé une pensée de montée en puissance de l'écolo-anarchisme dans les villages et petites villes en partant de l'implantation de petits groupes agissants sur le social et créant des espaces de vie libertaire. L'idée de Bookchin est de créer toutes sortes de groupes sociaux-culturels dans le village, au plus près de la population et de ses besoins. Groupes qui doublonnent avec les services municipaux ou étatiques. Groupes qui revendiquent des modes de fonctionnement décentralisés et autogérés. Groupes qui s'entrelacent en fédérations d'intérêts collant à l'idée proudhonienne du fédéralisme libertaire. Groupes qui contestent aussi le mode de fonctionnement, tel que défini par l'État, des municipalités en place. Arrivé à un stade de maturation, tel qu'une grande partie du village est présente et concernée par cette toile sociale libertaire, Bookchin préconise l'utilisation du « jeu démocratique » pour se présenter aux élections et tenter de prendre en main le conseil municipal et la mairie. Le but est alors d'utiliser les moyens de la municipalité pour le village, de pérenniser les groupes sociaux-culturels existants, d'instaurer d'autres modes de fonctionnement sur les assemblées délibératives et sur une charte d'éthique omniprésente, de contester le pouvoir central ou au moins de le contourner. 

La phase suivante consiste à créer, avec 

d'autres municipalités pratiquant le municipalisme libertaire, des groupements (que l'on pourrait appeler aujourd'hui des intercommunalités). La vision de Bookchin consiste à penser que ces intercommunalités pourraient prendre le pouvoir ou supplanter des groupes de plus en plus importants dans la production, (usines, agriculture, sociale, services aux personnes). Loin de mourir avec Bookchin, la théorie du municipalisme libertaire revit au Canada avec Jonathan Duran Folco qui a repris la réflexion sur le sujet en 2017. Beaucoup plus surprenant, les théories de Bookchin sont censées avoir inspiré les Kurdes du PKK en Turquie et du PYK en Syrie. En 2014 le Rojava, état kurde sur le territoire syrien, a publié son « Contrat social » inspiré de la pensée de Bookchin, processus révolutionnaire bâti sur les cantons : il consacrait la « justice sociale », la vie démocratique, l'égalité des sexes devant la loi et « l'équilibre écologique ».

La proposition de Bookchin, née dans les années 70, celles des libérations et de la contre-culture, s'inscrit dans une longue lignée de débats qui traversent le mouvement libertaire depuis le XIX° siècle et n'ont pas fini d'agiter la mouvance, même si d'aucuns veulent y jeter un anathème à coup de slogans péremptoires et d'exclusions définitives. L'idée schématisée est : faut-il une Révolution qui renverse le pouvoir pour instaurer une société libertaire à même de faire évoluer les citoyens ? Ou faut-il d'abord insuffler une évolution libertaire qui change l'Homme afin de changer la société ? Des nihilistes contre les naturistes, de Sébastien Faure vs Ravachol, de Charles-Auguste Bontemps et Maurice Laisant vs Maurice Joyeux... 

Révolution ou Évolution ?

 

JEAN-GILBERT IRIU

 

Bibliographie :

Bookchin, Pour un municipalisme libertaire, Lyon, Atelier de création libertaire

Bookchin, Pouvoir de détruire, pouvoir de créer : Vers une écologie sociale et libertaire, Paris, L'échappée

Jonathan Durand Folco, À nous la ville ! Traité de municipalisme, Éditions Écosociété, 2017

Charles-Auguste Bontemps, L'Anarchisme et le Réel. Essai d'un rationalisme libertaire, Les cahiers francs, 1963

Georges Fontenis, Changer le monde : histoire du mouvement communiste libertaire, 1945-1997, Éditions Le Coquelicot/Alternative libertaire, 2000

Maurice Joyeux, L'Anarchie et la société moderne, Nouvelles Éditions Debresse, 1969.

 

 

 

 

RONALD CREAGH

ITINÉRAIRE D'UN MOINEAU (1ère partie) 

 

Sur la couverture du livre que ses amis chercheurs lui ont dédié en 2016, Ronald est représenté par un dessin d'oiseau. « Un petit oiseau du genre moineau, parce qu' un moineau ça va partout, cela lui correspond parfaitement ». Rêves et passions d'un chercheur militant est ce que dans le jargon universitaire sur appelle un "mélange", c'est-à-dire un recueil polyphonique de textes destinés à rendre hommage à quelqu'un que l'on aime ou que l'on admire. Comme nous aussi, au Grain, on porte une grande affection à Ronald, on s'est dit qu'on pourrait lui consacrer également un papier, afin de faire découvrir ses rêves et ses passions, son inaltérable gentillesse et son indéfectible e nthousiasme, à ceux qui ont peu de chances que le livre en question arrive un jour entre leurs mains.

Ronald apprécie les bonnes petites tables. C'est au Parfums d'Asie, un restaurant chinois façon vintage du quartier de la gare de Montpellier, qu'il m'a donné mon premier rendez-vous pour préparer la chose. La patronne, apparemment, le connaît bien. « Non, il n'a pas réservé, me dit-elle en laissant transparaître entre les plis de ses jolis yeux noirs un reflet de contentement, mais installez-vous là dans le coin, il aime être un peu à l'écart pour pouvoir parler. » Je n'aurai pas le temps de la questionner davantage, mon moineau apparaît à la porte du restaurant.

Ronald a 91 ans. Le mois dernier, il a fait un œdème du poumon qui l'a conduit à passer plusieurs jours à l'hôpital dans un état critique. « Mais ça va, répond-il à ma préoccupation préalable sur la santé, malgré tout je suis en train de vivre les meilleures années de ma vie. » Je vous ai dit que Ronald était un optimiste indécrottable. « Et pourtant, lui dis-je, tu en a vécu, des choses passionnantes dans ta vie...? »

Ronald est né en Égypte, d'un père britannique comptable dans une société d'affaires et d'une mère d'origine libanaise. C'est sa grand-mère paternelle, une sicilienne versée dans la musique et la bigoterie, qui l'a élevé. « Je dormais dans sa chambre. Elle m'emmenait partout avec elle. Le dimanche, elle jouait de l'harmonium à l'église. Comme j'étais déjà initié à la musique (mon père m'avait mis au violon) j'adorais l'écouter. » C'est à elle que Ronald doit d'être passé à côté de sa jeunesse. « En bonne sicilienne, elle avait un directeur de conscience salésien qu'elle fréquentait assidûment. Celui-ci lui a déclaré un jour à confesse que " Dieu avait des intentions" sur moi ». L'avenir de Ronald s'est trouvé tracé. Lorsque sa petite voisine de palier venait le chercher pour jouer, sa grand-mère la renvoyait. « Souviens que tu as une vocation » disait-elle à Ronald pour justifier son intransigeance. Ronald avait déjà à cette époque la grande capacité d'adaptation qu'on lui connait. « Tous mes chagrins, toutes mes frustrations, je les faisais passer sur mon violon. » 

La famille vivait à Port-Saïd. Comme il n'y avait pas d'école anglaise dans la ville, son père l'avait inscrit dans un établissement catholique francophone. À l'âge de 18 ans, ainsi, tandis que ses parents, poussés par l'instabilité de la situation politique en Égypte, embarquaient pour l'Australie, notre moineau lui, comme en avait décidé le bon Dieu, partit de son côté rejoindre avec son violon sous le bras la Congrégation des Sacrés-Cœurs de Picpus dans la banlieue parisienne.

« Ma première année de séminaire fut mystique. J'avais essayé de comprendre ce que Dieu attendait de moi. Mais j'avais lu par ailleurs que nous pouvions confondre « volonté divine » et « désirs personnels ». Je choisis donc ce qui me déplaisait le plus : entrer dans un institut religieux où l'on se consacrait à l'adoration perpétuelle du Saint-Sacrement de l'autel. » Ronald a toujours un œil qui se moque quand il  raconte. On ne sait jamais à quel degré il faut prendre ses propos. « Au vrai, j'ai toujours été un peu autiste, je vivais dans mes idées, alors le séminaire me convenait très bien. Il m'évitait d'affronter la réalité du monde ». Pas si autiste que ça néanmoins. Parce que Ronald s'intéresse malgré tout à ses camarades de noviciat. « La plupart étaient des provinciaux, des enfants de familles pauvres qui avaient atterri ici probablement parce qu'ils n'avaient  pas d'autre avenir. »Le souci des autres du futur anarchiste est déjà manifeste. « La Congrégation des Sacrés-Cœurs formait des missionnaires destinés à diffuser les valeurs chrétiennes à travers le monde. Le Père supérieur avait décidé que je partirai enseigner au Chili. Cette idée ne me plaisait pas du tout, d'abord parce qu'à cette époque je souffrais régulièrement de maux de dents, je redoutais d'aller dans un pays où il n'y aurait peut-être pas de dentistes. L'autre raison était que je n'avais pas une bonne image du métier d'enseignant. J'en avais fait une première expérience amère en Égypte vers 17 ou 18 ans. Les punitions corporelles faisaient à cette époque partie de la méthode. Appelé un jour à remplacer un enseignant malade, j'avais été amené à corriger un gamin indiscipliné. Or il m'avait souri pendant tout le temps où je l'avais malmené. J'avais vécu ça comme une humiliation. J'en avais conclu que l'enseignement des enfants n'était pas fait pour moi. »

La perspective du Chili comme un cauchemar. Mais coup de théâtre : le supérieur du séminaire meurt.

« J'ai été sauvé par le bon Dieu (l'œil qui se moque). Le nouveau supérieur, d'un esprit plus ouvert, m'a permis d'intégrer une équipe de missionnaires de l'intérieur. » Et voilà Ronald sur les routes de France : Toulouse, Calais, Lille, la Picardie, la Meurthe-et-Moselle... là, il va découvrir, toucher du doigt, un monde qui avait jusque-là été uniquement de l'ordre de l'abstrait pour lui : l'univers ouvrier, la paysannerie, le concret, savoir si le veau, ou la vache qui vient de le mettre bas, vont mourir ou non. Il prend conscience de l'existence des classes sociales. « J'ai même mangé avec des prêtres ouvriers un chat écrasé, parce qu'il n'y avait pas d'autre viande. » Est-ce à cause de ce chat qui « a tourné pendant plusieurs jours dans [son] ventre » que Ronald a souhaité une nouvelle fois aller voir ailleurs ? » L'arrivée de nos rouleaux de printemps ne me permettra pas de le savoir. « Je partis militer dans les milieux bourgeois. Ma tâche consistait à sensibiliser les puissances d'argent à la condition ouvrière. » Dans cette ligne entriste, comme il était déjà sociologue à ce moment-là (il avait soutenu une thèse de 3ème cycle à l'École des Hautes-Études sur la libre pensée au États-Unis) Ronald se fait embaucher au sein d'une boîte de conseil. C'est là qu'il va faire la rencontre qui va donner un nouveau tournant à sa vie. « J'avais une existence de rêve. Deux fois six semaines de travail par an dans un château cinq étoiles. Nous intervenions auprès de futurs PDG de l'automobile, de l'aviation civile, du pétrole. Nous les sensibilisions, sous forme de jeux de rôles, aux valeurs de l'humanisme chrétien. » Mais la conversion ne va pas se faire dans le sens prévu. C'est le patron lui-même de l'entreprise, un homme qui avait ses entrées dans les cercles les plus élevés, qui tape dans l'œil de Ronald. « C'était le gendre de Wilfrid Baumgartner, un ancien ministre du gouvernement Debré. Il avait séjourné auprès de Krisnamurti dans un ashram en Inde et avait été très marqué par sa philosophie. » Sur ces entrefaites arrive mai 68. Le krisnamurtien prend le parti de la révolte. Il plante là son affaire et décide de créer une entreprise autogérée, et Ronald le suit.

« Le début des événements m'a trouvé alité à l'hôpital, à cause d'une de mes jambes qui s'était paralysée. Tous les

copains étudiants du fils de mon infirmière venaient discuter du mouvement à mon chevet. » Aussitôt sa jambe remise, Ronald part rejoindre son ex-patron, et nouveau partenaire, dans sa société en herbe. « L'affaire n'alla pas bien loin. Nous organisâmes une réunion avec tout le grand patronat protestant de France pour vendre nos belles idées, mais tu parles, nous ne décrochâmes pas un seul contrat. » Après ce fiasco, l'ex-patron part fonder une communauté en Suisse, tandis que Ronald... écrit au supérieur de son séminaire pour lui annoncer qu'il quitte l'Église. « Ma foi s'est évanouie à la suite d'un simple mot prononcé lors d'une discussion avec un ami. Je m'étais déjà bien éloigné du catholicisme, je croyais cependant toujours, sinon au Dieu tel qu'on me l'avait inculqué, du moins en quelque chose. Pourquoi tu crois ? m'avait demandé cet ami qui était philosophe lacanien. Parce que l'univers ne pourrait pas exister autrement, lui avais-je répondu, il faut bien quelqu'un, une puissance infinie capable de le créer à partir du néant. Il avait rigolé. Mais le néant n'existe pas, m'avait-il rétorqué, ce n'est qu'un concept. Ce simple mot, ce simple terme de "concept" a éclairé mon esprit d'intellectuel. À l'instant même, je suis devenu athée.

Ronald va payer le prix de son émancipation des voies du Seigneur. Il va connaître des années de vaches maigres : chômage, petits boulots, errances. « Je cherchais un peu partout. » Sans conviction, il parvient à se faire embaucher comme consultant en management dans une entreprise américaine. « Un jour, j'apprends qu'on va créer des cours de « civilisation américaine » dans les départements d'anglais des universités françaises. » Ronald s'empresse d'envoyer son CV à toutes les facultés concernées. Sans succès, il ne sait pas vendre ses compétences à distance. Jusqu'au jour où il reçoit un coup de téléphone d'un prof de Montpellier. « Nous avons déjeuné ensemble. Avec le face-à-face tout a été différent, le lendemain j'étais embauché. »

Ronald a enfin trouvé son véritable credo : la recherche. « J'avais 31 ans, il n'était plus question pour moi de travailler pour le capitalisme. » Comme il ne possède pas la nationalité française, il n'a droit qu'à un poste d'attaché d'enseignement. Cela ne l'empêche pas de se lancer dans la préparation d'une thèse d'État. « Lors de mon travail sur la libre pensée, j'avais vu que pas grand-chose n'avait été fait sur l'anarchisme aux États-Unis. J'ai opté pour ce sujet. » Ronald va dénicher son directeur de thèse au CIRA de Lausanne, en la personne de Marie-Christine Mikhaïlo, une figure reconnue du mouvement libertaire international. « Elle m'a donné les coordonnées de Paul Avrich [1] qui enseignait à cette époque au Queens Collège à New York. » Entre-temps, Ronald s'est marié. « Nous sommes partis avec ma femme à New-York. Paul Avrich nous a accueillis avec la plus grande cordialité. Il nous a introduit dans le milieu libertaire américain. » La mayonnaise prend tout de suite. Loin de l'image noire caricaturale de l'anarchisme, les anars que Ronald et sa femme rencontrent remportent immédiatement leur adhésion. « Ils militaient pour une société non autoritaire, non hiérarchique, pour l'amour libre, la non-violence, tout le contraire de ce qu'avait été mon éducation, tout ce à quoi j'aspirais désormais. » Ronald obtient une bourse du Conseil américain des sociétés savantes pour entreprendre une thèse sur le mouvement libertaire aux États-Unis. On lui explique que pour continuer son travail il faut qu'il s'attache à une université. Ronald répond qu'il ne veut se fixer nulle part, parce que les libertaires[2] sont partout. Et il s'envole ainsi en free lance pour la Californie.

« J'étais à Berkeley lorsque a démarré le mouvement de protestation de 1969. C'est parti de l'interdiction de la part du Gouverneur de Californie du moment, un certain Ronald Reagan, de la vente des journaux politiques à l'intérieur du campus. Les étudiants ont envahi les allées de l'université pour défendre la liberté d'expression, puis la révolte a fait tache d'huile contre la guerre du Vietnam, contre l'hypocrisie des institutions, pour les droits physiques, etc. Contrairement à ce que les médias ont essayé de faire croire, il n'y avait pas que des jeunes dans les manifestations. Un de mes amis à barbe blanche, qui avait pris part à l'une d'elle, a ainsi vu sa photographie floutée dans la presse pour faire croire au grand public qu'on était devant quelque chose qui était de l'ordre d'une crise d'adolescence, plutôt que devant un vrai mouvement politique de protestation. » Ronald était présent quand Joan Baez a chanté son fameux We shall overcome. « Une grande émotion [...] puis ensuite ça été à nouveau New-York, Boston, Chicago. J'ai poursuivi mon travail de recherche tout en donnant des cours et des conférences. »

À l'issue d'une conférence, un beau jour, le collègue qui l'avait recruté lui dit : « Mais toi, tu es anarchiste ? »

« Je n'avais jusque-là jamais vraiment défini ma ligne de pensée, je considérais que j'avais juste entrepris un travail sur l'anarchisme, c'est tout. J'ai eu un instant de flottement, puis ça m'est venu tout seul, malgré moi, j'ai répondu... oui. C'est ainsi que je suis devenu anarchiste. »

Ronald va ensuite mener toute sa (très atypique) carrière de chercheur et d'enseignant au sein de l'université Paul Valéry de Montpellier... mais ça sera une autre histoire. Comme nos desserts viennent d'arriver, et que Ronald est très gourmand, je coupe là mon enregistreur pour le laisser profiter de sa mousse au chocolat. Son cheminement intellectuel, je vous le raconterai dans le prochain numéro de notre Grain. Vous ne pouvez pas imaginer tout ce qui a pu sortir de la cervelle de notre moineau.

 

PATRICK  FORNOS

 

[1] Paul Avrich (1931-2006) : historien américain qui a laissé une contribution essentielle sur l'histoire de l'anarchisme aux USA et en Russie.

[2] Ce qu'il ignorait c'est que déjà à cette époque aux États-Unis le mot « libertaire » ne renvoyait pas à « anarchiste » mais à «anarcho-capitaliste ». Mais ce courant en était encore à ses tout débuts...

"Rêves et passions d'un chercheur militant" mélanges offerts à Ronald Creagh, Atelier de création libertaire, 2016

 

 

 

PIERRE KROPOTKINE ET L'ÉCONOMIE PAR L'ENTRAIDE

PAR RENAUD GARCIA

 

L'année dernière, le livre de Renaud Garcia, Pierre Kropotkine et l'économie par l'entraide, a été réédité chez  "Le passager clandestin" avec une révision de l'auteur. Comme d'habitude dans cette collection des précurseurs de la décroissance, le livre se compose d'une introduction et d'une sélection de textes. Son principal intérêt pour nous est l'analyse que Renaud Garcia fait des textes de Kropotkine en les actualisant d'après une écologie sociale et libertaire. Dans la première partie du livre, notre auteur éclaircit le rôle ambigu joué par le darwinisme dans la sociologie politique. Toute la pensée socialiste du XIXème siècle a été confrontée d'une manière ou d'une autre à cette problématique. Face à une soi-disant "naturalisation"de la « lutte pour l'existence », Renaud Garcia estime qu'avant de s'engager sur ce chemin, il faudrait d'abord démontrer la prétendue réalité de cette lutte, ou du moins la centralité que certains lui accordent dans leur interprétation de la théorie évolutionniste.

Les écrits de Kropotkine sur l'entraide, que Renaud Garcia porte à notre attention, constituent ainsi une puissante objection au "darwinisme social", qui est une interprétation fortement idéologique du phénomène de l'évolution de la part de certains penseurs et scientifiques du XIXème siècle. Le darwinisme social servira à justifier le capitalisme sauvage en réactualisant l'idée de la lutte de tous contre tous déjà énoncée par Hobbes à son époque. Renaud Garcia, cependant, nous prévient : « Bien entendu, la position de Kropotkine ne manque pas de soulever de lourds problèmes théoriques : s'il pense en termes de continuité entre nature et société, alors ne substitue-t-il pas grossièrement un darwinisme social "sympathique" à un darwinisme social agressif ? » Loin de cela, si Kropotkine ne nie pas l'existence de la confrontation dans la nature, il souligne aussi l'importance de l'entraide dans l'évolution des espèces. Garcia insiste sur le caractère empirique de ses écrits : ses observations sur la faune sibérienne, ses recherches en ethnologie, ou encore son histoire médiévale. Kropotkine, en vérité, retrace une « histoire naturelle » de l'entraide en s'appuyant sur un ensemble remarquable d'observations et de recherches. Sa contribution à la compréhension du vivant attire encore aujourd'hui l'attention de la communauté scientifique.

Renaud Garcia aborde ensuite la question du malthusianisme, une question difficilement contournable pour la pensée politique du XIXème siècle. À l'instar de Thomas Huxley, Kropotkine n'a pas beaucoup de peine à réfuter le fumeux empirisme malthusien. Néanmoins, comme Renaud Garcia nous le rappelle, le contredit des points les plus faibles et les plus clairement idéologiques du malthusianisme n'épuise pas la question. On a vu comment cette question a été reprise par les courants anarchistes néomalthusiens pour dénoncer le natalisme oppressif de la société capitaliste. Dans ce sens, le problème du populationnisme et de l'anticipation de la limite des ressources que Malthus, malgré tout ce qu'on peut lui opposer, a bien entrevu, échappe à Kropotkine. Garcia l'admet en écrivant dans sa conclusion : « dans le cadre de la décroissance, une réflexion sur l'empreinte écologique ne peut exclure une réflexion autour de Malthus sur le taux de natalité. Reste à déterminer, au regard d'une pensée de la décroissance, si ces relatives insuffisances de Kropotkine sont de nature à grever ses propositions économiques »

La partie introductive du livre continue avec l'analyse des propositions économiques et pratiques de Kropotkine, celles qui se trouvent en particulier dans deux de ses ouvrages les plus connus : "La conquête du pain" et "Champs, usines et ateliers". Renaud Garcia rapproche le

travail de Kropotkine de celui de William Morris et insiste sur l'idée que les analyses sur le problème de la rareté ont amené Kropotkine à approfondir celui des besoins, et donc à esquisser une première critique du productivisme typique de la société capitaliste. Les propositions pratiques qu'il fait dans "Champs, usines et ateliers" permettent déjà d'entrevoir une piste possible pour un socialisme à échelle humaine, plus respectueux de l'environnement. Le livre deviendra un classique, un ouvrage précurseur de l'écologie sociale et libertaire qui contient tout un catalogue de sujets primordiaux : l'équilibre entre la ville et la campagne, la complémentarité du travail intellectuel et manuel, la décentralisation productive, l'importance de l'agriculture vivrière, la combinaison plus efficace de la production artisanale et industrielle, ou encore le problème de la taille des unités de production. Comme l'a bien vu Renaud Garcia, toutes ces idées relient Kropotkine à des auteurs contemporains comme Patrick Geddes, Lewis Mumford ou Murray Bookchin.

L'essai se termine par une note sur l'entraide de Kropotkine, et l'appropriation de cette notion par les tenants de la "collapsologie". Renaud Garcia ironise sur l'usage dépolitisé et pseudo-mystique que les collaposologues font de l'entraide et conclue de manière significative : « À   rebours de ces chausse-trappes, viser l'économie par l'entraide signifie : s'attaquer à une logique ; celle de l'accumulation illimitée du capital, qui conduit à une double crise sociale et écologique ; pointer les responsabilités des agents de cette logique (institutions financières, multinationales, lobbies de l'innovation et laboratoires des nouvelles technologies) ; et chercher à initier un pas de côté par rapport au genre de vie aliénée qu'elle nous fait mener ». Et il ajoute, en visant clairement les collapsologues : « Et cela suppose le conflit... ».

Le livre de Renaud Garcia a été présenté le 24 octobre au CAD au cours d'une soirée où l'idée était de confronter les thèses de Kropotkine et Bookchin à celles des différents courants de la collapsologie actuelle. Renaud nous a fait une exposition succincte des points de vue qu'il expose dans son essai, en les élargissant avec des références à Bookchin. Son intervention a été d'autant plus à propos que la revue Réfractions, dont Renaud fait partie du comité de rédaction, prépare un dossier sur ce même sujet, dossier qui doit paraître au printemps. Bien que le débat sur "l'effondrement" ait une place plutôt réduite dans les milieux libertaires, la question est d'une portée considérable. Certains sont venus à la soirée à cause de la répercussion médiatique de la collapsologie. Renaud nous a dit d'une façon claire son opinion sur cette dernière, sans pour autant se montrer tranchant. Le ton des discussions a toujours été respectueux. Nous avons été contents de constater comment quelques sympathisants de la collapsologie découvraient, grâce à l'exposé de Renaud, une autre vision de l'entraide, plus fidèle à ses origines libertaires. Au cours du débat, de vieilles questions sont revenues avec la saveur du moment actuel : comment, en tant que libertaires, pouvons-nous répondre au défi médiatique et messianique de l'effondrement ? Comment résister à la simplification qu'implique toute propagande ?

Le livre de Renaud Garcia apporte des éléments pour nous prémunir des effets délétères de cette propagande, il permet de prendre de la distance et de poser les choses pour réfléchir.

 

TONI  GARCIA

 

L'AIR DU TEMPS

MÉMOIRE  VIVE

 

Le cerveau humain est d'une nature curieuse. Au supermarché, tenez. À qui n'est-il jamais arrivé, en faisant la queue devant la caisse, de reluquer dans le chariot de son voisin? On compte, on détaille, on compare... Assez vite, pour peu que cela piétine à l'avant, l'imagination s'envole. Quatre bouteilles de vodka et un lot de cierges magiques étincelants... souhaitons que le plancher de l'appartement soit solide. Un pack d'eau d'Hépar et des pruneaux d'Agen... c'est le ventre qui ne doit pas aller. Six boites de Kitekat et trois formules individuelles congelées... comment cela doit être de vivre en couple avec son chat? On s'oublie lorsqu'on s'occupe de ce qui ne nous regarde pas. On revient brusquement à soi en atteignant notre Graal et là, on s'avise que non seulement le supermarché possède lui aussi un cerveau, mais que celui-ci est également très curieux: « Vous avez la carte du magasin? » Aucune intelligence ne peut fonctionner sans une amorce de curiosité. Mais la différence entre la nôtre d'intelligence, humaine rien qu'humaine, et celle du magasin, c'est que si nous nous contentons de nous mettre un court instant (avec une pointe d'envie ou un sentiment solidaire de compassion) dans la peau de cet autre que nous-même, le supermarché, lui, ne lâche plus son homme. La marque Carrefour, ainsi, vient de s'allier à Google pour créer un logiciel capable d'analyser en temps réel les tendances et les besoins de plus de 4000 magasins de proximité, ceci à partir de vos courses mises systématiquement en mémoire grâce à votre carte de fidélité. Les stratèges des groupes leaders du commerce à grande échelle n'ont pas eu besoin d'aller rencontrer le Dalaï-Lama pour comprendre que l'homo economicus n'était qu'un pauvre diable prisonnier de la roue sans fin de ses désirs. Les algorithmes géants qu'ils ont mis au point tournent sans relâche 24 heures sur 24 pour répondre à vos plus petites aspirations avant même qu'ils aient eu le temps d'affleurer à votre conscience. Et comme les capitalistes aussi savent se tenir les coudes, une fois qu'on a fait son beurre de ces montagnes de données, on s'efforce d'en faire profiter les copains (enfin, le plus souvent, on les leur échange contre paiement, faut quand même pas exagérer). Votre moi confidentiel, du coup, celui qui n'appartient qu'à vous, qui vous est personnel et qui vous tenez tant, comme disait maître Panisse, cette partie la plus intime de vous-même n'aura plus aucun secret pour le super-cortex de l'économie numérique. Récemment, un journaliste espagnol qui n'avait jamais fait le moindre achat en ligne en lien avec sa libido, a eu la surprise de voir commencer à défiler sur l'écran de son smartphone des publicités pour des sites de rencontre gay. La machine avait déduit de ses emplettes ordinaires son orientation sexuelle. 

« Notre futur sera privé, a proclamé haut et fort Marc Zuckerberg lors d'une de ses dernières apparitions publiques, Facebook est là pour y veiller! » Quand ça commence à devenir grave, le capitalisme s'en sert pour vendre encore davantage. À Bruxelles, les petits soldats de la bonne conscience européenne ont institué un règlement visant à la protection des données à caractère personnel. Mais les États-Unis n'en ont cure. Au pays de la liberté, on considère que c'est le droit de chacun d'utiliser à son gré la vie privée de ses contemporains. Quant aux Chinois, ils en sont déjà beaucoup plus loin. Pékin est en train de mettre en place un système informatique destiné à évaluer le comportement social de tous ses citoyens. La chose fonctionne en recoupant les milliards de données individuelles des habitants de l'Empire du Milieu, celles-ci récupérées depuis les stocks mémoriels des géants du commerce tels que Ali-baba et consort jusqu'à ceux des banques, des administrations, des services de police, en passant par les sites de loisirs et tout le reste de ce qu'on peut imaginer en chinoiseries connectées. Ces données permettent d'attribuer à chacun un "score social" évolutif, lequel score conditionne, non seulement la crédibilité publique de son porteur, mais aussi son accès aux services de l'État

Vous en dites quoi ? Moi, j'ai envie de citer une phrase d'Antoinette Rouvroy. La dame est philosophe et chercheuse en droit à l'université de Namur. Elle travaille sur la question de la norme et du pouvoir à l'heure de la révolution numérique. « L'intérêt à oublier et à se faire oublier, écrit-elle dans un de ses ouvrages[i], traduit l'inquiétude de la personne que je suis pour la personne que j'entends, ou que j'espère, devenir dans l'avenir. » 

Vous avez la carte du magasin ?

 

PATRICK  FORNOS


 

[i] « Réinventer l'art d'oublier et de se faire oublier dans la société de l'information » Éd. Stéphanie Lacour, Paris, L'Harmattan, 2008.

 

ON  A  LU

Jean-François Billeter

ESQUISSES

 

Le sinologue et philosophe suisse Jean-Francois Billeter, féru autant de Tchouang-tseu que de Spinoza, nous ravi avec ces cinquante esquisses courtes mais denses et d'une grande clarté, qui s'avèrent être le moyen d'exprimer l'essentiel. Citons par exemple l'activité mentale comme socle de notre sentiment d'identité, d'où la pertinence du langage, « chose merveilleuse qui nous permet de nous introduire dans la réflexion des autres et de la poursuivre pour notre compte ». Adepte de l'émancipation sociale par le biais d'une liberté « positive » - « nous nous sentons libres quand nos actes se font facilement et tout de suite » - Jean-François Billeter dénonce les méfaits et les gâchis du capitalisme industriel et financier en ce qu'il est purement fonctionnel, n'a ni but ni terme, est vide de sens et nous entraîne dans une fuite en avant suicidaire. « C'est la loi de l'infini [qui] nous impose une vie minutée. Elle nous prive du loisir de nous arrêter, de penser, de nous exprimer et d'agir selon notre nécessité propre. » Mais pour sortir de la crise, la critique ne suffit plus. Il faut des idées neuves pour être en mesure de savoir comment se représenter l'être humain et ses besoins essentiels. N'a de sens que ce qui a une fin. En résumé, le capitalisme ou la civilisation !

En complément de cette recension, on a envie de citer pour sa limpidité le dernier chapitre du Tao-tö king de Lao-tseu, tel que l'a mis en lumière Étiemble dans sa longue préface érudite (clin d'œil inversé à la première strophe) à "Philosophes taoïstes. Lao-tseu, Tchouang-tseu, Lie-tseu", Bibliothèque La Pléiade, 1980

Les paroles vraies ne sont pas agréables ;

les paroles agréables ne sont pas vraies.

Un homme de bien ne discute pas,

l'homme qui discute n'agit pas pour le bien.

Celui qui sait n'est pas un érudit,

un érudit n'est pas celui qui sait.

Le saint ne réserve rien :

en agissant pour autrui, il possède davantage ;

en donnant à autrui, il multiplie

davantage encore sa richesse.

La voie du ciel consister à avantager sans nuire.

La voie du saint consister à agir sans rien disputer.

 

 

JEAN-JACQUES  GANDINI

Esquisses, Jean-Francois Billetier, Éditions Allia 2017, 108 p, 7 euros 50 

 

POINT  DE  VUE

LE  PROGRESSISME... LA  PMA  POUR  TOUTES

« Ce qu'il y a de plus difficile à apprécier et à comprendre, c'est ce qui se passe sous nos yeux. »

Tocqueville 

 

En quelques années, le mariage homosexuel a recueilli l'assentiment de beaucoup de gens. La voie est maintenant ouverte à la Procréation Médicalement Assistée (PMA) pour toutes. Et la Grossesse Pour Autrui (GPA) au bénéfice de tous les couples ne devrait plus tarder à suivre non plus. On se fait croire que, sous prétexte d'égalité entre les couples hétérosexuels – qui ont droit à la PMA en cas d'infertilité – et les couples homosexuels – qui sont par nature infertiles – il convient d'étendre la légalisation de la PMA pour toutes les femmes. On oublie au passage, avec une grande désinvolture, que ce ne sont pas les couples homosexuels qui deviennent par miracle fertiles, mais la biotechnologie qui fabrique des enfants qui ne sont pas ceux des parents officiellement reconnus comme tels, c'est-à-dire les femmes qui les ont voulus. En un tour de passe-passe digne d'un bon prestidigitateur, on fait passer les enfants d'un homme et d'une femme pour les enfants de deux femmes, ceci pour légitimer le désir d'enfant de deux femmes homosexuelles. Car le désir d'un individu doit passer avant toute autre considération dans le monde qui est devenu le nôtre. Comme le dit Marie-Jo Bonnet (Les gouines rouges, FHAR) : « La société est devenue un agrégat de consommateurs dont certains ont assez d'argent pour se payer l'impossible : avoir un enfant sans l'autre sexe. » 

Par quel miracle un tel délire s'est-il installé dans autant de têtes ? D'une façon irrémédiable, qui plus est. Car tout ceci est présenté comme obligatoire, puisqu'il s'agit du sens même de l'Histoire, nous dit-on. La "roue crantée du progrès" ne permet plus de retour en arrière. On peut revenir sur les 35 heures, sur l'âge de la retraite, mais pas sur le mariage pour tous ni sur la PMA pour toutes. Cette idée du "sens de l'Histoire" est si ancrée dans les têtes malléables de nos temps cramoisis qu'on voit mal comment on peut susciter un peu de retour à la réflexion chez la foule progressiste ... en marche.

Pour éviter une ambiguïté toujours possible, précisons que ce qui est gênant ici, c'est la dissolution du réel dans un charabia idéologique des plus inconséquent. Il n'y a pas, pour nous, d'un côté une Nature éternelle et intouchable qu'il faudrait respecter à tout prix, et de l'autre la "vilaine" technologie qui contribue à la détruire. La technique a toujours été présente dans l'aventure humaine. Mais dire aujourd'hui que deux femmes homosexuelles sont (seulement) socialement infertiles, comme le prétendent certaines néo-féministes, et non pas biologiquement infertiles est un discours mensonger (volontairement ou involontairement).  La vérité, c'est que deux femmes homosexuelles ne peuvent enfanter que grâce à la technologie et au Droit qui légalise cet apport technologique, sans lequel rien de cela ne serait imaginable. En venir à instaurer une fertilité imaginaire entre deux femmes porte atteinte à des constructions mentales ayant cours depuis des millénaires, comme le lien entre la différence des sexes et l'enfantement. Cette atteinte [d'autant plus grave qu'à la suite des néo-féministes en question, des LGBT, du gouvernement Macron une part importante de la population s'est résignée aux avancées progressistes] aboutit à se dire : « finalement, pourquoi pas ? » Si la PMA pour toutes restait interdite ce serait même dans leur esprit une atteinte à un ordre qui va de soi. Cet ordre, qui plus est, est tout à fait "scientifique", pour reprendre le mot de B.P. Preciado. « Dans cette nouvelle conception de la lutte contre les inégalités, les différences sexuelles dans le processus de procréation, le fait de pouvoir porter ou non et mettre au monde un enfant peuvent être considérés comme une « inégalité » fondamentale entre les femmes et les hommes, entre les lesbiennes et les homosexuels, sans parler des «trans» et des «bi». À la limite, certains pourraient penser qu'une procréation, une gestation et une naissance qui seraient totalement désincarnées mettraient tout le monde sur un même plan d'égalité » écrit Jean-Pierre Le Goff. Celui-ci voit plus loin que la plupart des partisans de la PMA pour toutes. Il s'agit bien de cela à terme : trouver une solution technologique aboutissant à l'abolition des sexes : la fabrication de gamètes unisexes et d'utérus artificiel. Le rêve pourrait donc se transformer en réalité, les thuriféraires de la PMA pour toutes ne supportant pas que la réalité contredise l'idéologie. Quand on lit de la plume de Paul Béatriz Preciado (1), que « en terme biologique, affirmer que l'agencement sexuel d'un homme et d'une femme est nécessaire pour déclencher un processus de reproduction sexuelle est aussi peu scientifique que l'étaient autrefois des affirmations selon lesquelles la reproduction ne pouvait avoir lieu qu'entre deux sujets partageant la même religion, la même couleur de peau ou le même statut social » on ne peut que tomber de sa chaise. Les billevesées les plus extravagantes passent aujourd'hui, et dans des milieux de plus en plus vastes, pour des originalités brillantes pourvu qu'elles aillent dans le "sens de l'Histoire" proclamé par certains. « Il est des idées d'une telle absurdité que seuls des intellectuels peuvent y croire. » écrivait George Orwell. Tant il est vrai que ce sont des intellectuels qui ont été les premiers touchés par la grâce de ces très fumeuses théories. N'y aura-t-il aucun enfant qui, entendant ces flots d'absurdités, dira : « ... le roi est nu ! », confondant ainsi la foule des idolâtres ? Mais « de tous les conformismes, le conformisme du non-conformisme est le plus hypocrite et le plus répandu aujourd'hui », disait Vladimir Jankélévitch en 1987. En matière de non-conformisme, on peut dire qu'on crève le plafond, et le peuple est nombreux à bêler en troupeau pour donner son accord "rebelle", "passionné" et bien-pensant. C'est tellement plus « fun », disent-ils tous en cœur. 

Pourquoi donc serions-nous, avec la PMA pour toutes les femmes, dans le fameux sens de l'Histoire ? C'est une question qu'on peut se poser, puisque c'est la réponse et le sentiment les plus fréquents que l'on a chez ceux qui acquiescent à cette plongée dans l'inconnu. La direction avait été donnée il y a déjà longtemps avec la pilule anticonceptionnelle qui autorisait une dissociation entre l'acte sexuel et l'enfantement. Rapidement, l'opposition fit rage entre ceux qui criaient au progrès – toujours prétendument inévitable – et ceux qui vociféraient contre l'effondrement de l'ancien mode de vie. Du moins, c'est ce que ces derniers clamaient. Car, comme les plus avisés le faisaient remarquer à l'époque, d'une manière très naturelle, les rapports sexuels n'impliquent pas toujours l'enfantement. S'il faut un rapport pour avoir un enfant, le fait est que les rapports sexuels ne sont pas toujours fertiles. Et loin s'en faut. Le plaisir sexuel est indépendant de l'enfantement, il n'y pas de lien entre la fécondité et le plaisir. C'est ainsi chez les humains, ce qui n'est apparemment pas le cas chez les autres animaux pour lesquels une pulsion naturelle pousse le plus souvent le mâle à la copulation seulement au moment où la femelle est féconde (2). La pilule ne fait finalement que se mouler dans cette dissociation en diminuant le taux de rapports féconds, elle allait finalement dans le sens voulu mais ne contredisait pas radicalement un processus selon lequel les hommes et les femmes recherchent le plaisir sexuel. Dans toutes les civilisations on savait ce que la sexualité avait de particulièrement jouissif. C'est précisément pour cette raison que certaines religions ont voulu canaliser cette pulsion qui poussent les femmes et les hommes à l'accouplement. En sorte que ceux qui, à l'époque, s'opposaient – et ceux qui s'opposent toujours – à la contraception se basent essentiellement sur des postulats de nature religieuse. Ou moraux tout au moins. Les religions monothéistes issues du judaïsme, par exemple, ont particulièrement réprimé la sexualité pour n'en retenir que la procréation à laquelle elle donnait lieu. Le mariage, selon ces conceptions, donne droit à la copulation (3) et la copulation doit se faire seulement dans ce but d'aboutir à l'enfantement. Qu'avons-nous avec les féministes, les LGBT et les progressistes d'aujourd'hui ? Les constructions sont totalement arbitraires chez eux, puisque le but est que les couples de femmes homosexuelles soient amenés à la fertilité. Ce qui n'a évidemment jamais été le cas et ne l'est toujours pas. On admire les distorsions de langage pour ne pas dévoiler le pot aux roses. Non, ce n'est pas l'enfant de ces femmes... biologiquement. Mais d'intention ! 

Ah, l'intention suffit pour enfanter ? On se gausse de mots. Ce n'est pas seulement l'intention, c'est surtout la biotechnologie qui permet ce qui est en train de se faire, à savoir la possibilité d'une grossesse à un couple de femmes homosexuelles ou à une femme seule alors que cet enfant a été conçu – non pas le plus naturellement du monde certes mais tout de même – à partir d'un gamète mâle et d'un gamète femelle. Et non pas de deux femmes. De même pour les femmes seules auxquelles il sera loisible d'avoir un enfant... toute seules. Elles vont devoir croire que l'enfant n'a pas de père, alors que celui-ci existe bel et bien, mais il est enlevé, gommé purement et simplement de la réalité sociale manipulée par ces croyants au Meilleur des Mondes. 

Il faut noter ici un aspect important que l'on n'a pas encore évoqué. Le problème de l'eugénisme. Certains – parmi lesquels des médecins – disent que les couples d'homosexuelles ne demandent en rien l'eugénisme. Ils ne demandent pas des enfants selon leurs goûts, mais seulement des enfants. C'est sans doute vrai. Cela devrait rassurer ceux qui, au contraire, voient dans la PMA une évolution, une porte ouverte dans ce sens de l'eugénisme. Mais ce qui pose problème, et que ces médecins "compatissants" ne veulent pas voir, c'est que dans les pays les plus avancés, les plus libéraux, on en est déjà à l'eugénisme ! puisqu'on peut choisir un enfant comme ceci ou comme cela, presque à la carte, en fouillant dans l'ADN. La voie est donc toute tracée. C'est ce refus de voir que la porte est ouverte dans ce sens-là qui constitue de l'aveuglement. Le professeur Testard confie que : « La PMA est intrinsèquement liée à la sélection et donc à l'eugénisme : dès lors qu'on choisit un donneur, il faudrait vraiment être idiot pour retenir un alcoolique ou un homme ayant des antécédents familiaux chargés. » Et ceci n'est qu'un premier pas, car il ajoute : « Si la PMA est ouverte en dehors des indications médicales [et c'est l'objectif aujourd'hui], les gens voudront la PMA non plus seulement pour avoir un enfant, ce qu'ils peuvent faire naturellement, mais pour avoir tel enfant : garçon ou fille comme aux Etats-Unis, ou avec un certain QI comme en Chine. La PMA non thérapeutique signifie donc la sélection des individus et, comme on choisit toujours bien entendu les meilleurs, l'eugénisme. » On en est réduit, par la logique qui nous amène toujours plus loin, à aller vers l'eugénisme. Beaucoup ne veulent pas voir, mais – ce qui est encore moins rassurant – d'autres en sont conscients et n'y voient pas de problème. 

Autre question pour terminer : est-ce que tout le monde, dans le camp des partisans de la PMA pour toutes, est dupe ? Soyons sûrs que non. Évidemment, il y a les abuseurs abusés que sont les militants de la Cause, qui sont prêts à se persuader de n'importe quoi pourvu que cela corresponde à leurs désirs. Le refus de considérer que les processus naturels existent est la porte ouverte à tous les délires. Pensée qui est le B.A-BA de la politique du féminisme le plus moderne. Rien à voir avec ces féministes qui, réunies en Congrès Mondial en 1987, refusaient avec insistance, les considérant comme des aliénations majeures, le recours aux techniques de la PMA et de la GPA (4). Comme le dit Matthiew Crawford : « Le progressisme devient alors une guerre contre le concept même de réalité – ce qui n'est pas choisi et qui existe indépendamment de nos désirs – et je pense que c'est au cœur de la politique du genre. » Bien sûr, si « on ne naît pas femme et [qu']on le devient » – phrase de Simone De Beauvoir que les néo-féministes à la Judith Butler ont attrapé au vol et usé jusqu'à la corde – alors on peut admettre que le sexe des individus est arbitraire, et donc peut être choisi. Ce qui nous amène encore plus loin avec les transgenres qui, eux aussi, se font croire qu'ils ont vraiment changé de sexe. À suivre... 

Mais revenons aux abuseurs qui, eux, ont toujours les pieds sur terre. Pour eux, tous nos politiciens libéraux – Macron et les siens en tête – savent bien que tout l'intérêt de ces gesticulations mentales (5) réside, entre autres, dans le rapatriement en France des opérations qui se font dans les cliniques belges, espagnoles, etc. Le cynisme est de rigueur ! Tout ceci «coïncide avec la domination de l'idéologie ultralibérale qui pose que la nature et le rythme des sociétés doivent se plier aux lois absurdes autant que nihilistes du changement pour le changement, de l'économie de profit (bouger pour survivre, muter pour bouffer l'autre) » (6). En ce sens, de juteux profits sont prévisibles par la promotion des idéologies néo-féministes et trans-identitaires. Pourquoi se priver ? Les libéraux n'ont rien à perdre : seuls quelques vagues "conservateurs" voudront lutter contre la loi. Mais l'air du temps n'est pas chez ceux-là. Le progressisme règne en maître et a imposé sa marque. Sauf que sous le progrès sociétal est la régression sociale, humaine. On est loin de la question primordiale que se posait Orwell : « il faudrait se demander : cela me rend-il plus humain ou moins humain ? » Aujourd'hui, l'humain est superflu si l'on en croit les adulateurs de ce néo-féminisme. La PMA pour toutes, c'est le progrès proclamé incontournable pour tous, de la droite libérale aux pseudo anarchistes (7), en passant par tout l'éventail de la gauche abusée (8). Pendant ce temps, les promoteurs se frottent les mains en songeant aux bénéfices et à la "croissance" qui se trouvent au bout de la mise en place de ces lois sur la PMA – d'où suivront bientôt celles sur la GPA. Évidemment, en toile de fond, les initiatives transhumanistes montrent le bout du nez. Sarkozy nous a fait déjà le coup avec le fameux « gisement de croissance » qui résidait selon lui dans la défense de l'environnement. Ah ! la croissance, les libéraux n'ont même plus à y faire allusion aujourd'hui. La PMA pour toutes – et tout le reste qui suivra – c'est bon pour la croissance. Mais... ni la croissance ni la PMA pour toutes ne sont bonnes pour les humains. 

 

GUY M.

 

Note 1 : transsexuelle, femme devenue homme et apologiste de la "fluidité de genre"(gender fluid). Faiseuse d'articles dans le quotidien Libération qui ne mérite en rien son nom. Considérée dans Le Monde comme la « Galilée de la sexualité ». Galilée doit se retourner dans sa tombe ! En fait, la loi est faite pour répondre à la demande des lesbiennes et des femmes seules qui la demandent. Certaines d'entre elles allant en Espagne ou en Belgique tenter une PMA autorisée là-bas. 

Note 2 : Peut-être est-ce bien là une spécificité humaine, ou des primates – on dit les chimpanzés et surtout les bonobos particulièrement enclins à la copulation. Pour le plaisir. 

Note 3 : Mais sans qu'on s'abandonne à la chair, bien entendu. 

Note 4 : Voir la revue Inventaire. Ou bien directement en anglais : Réseau féministe international de résistance aux techniques de reproduction et à l'ingénierie génétique, déclaration de Comilla Bengla Desh, 1989. http://ubinig.org/index.php/campaign/printaerticle/23/english

Note 5 : « La régression infantile, politique et infra éthique, où le bonheur consistera à consommer la réalisation des pensées magiques et des délires narcissiques sous la forme de produits marchands bien emballés. » Fabien Ollier, L'homme artefact.

Note 6 : Fabien Ollier, L'homme artefact.

Note 7 : « Quant aux traqueurs de la "domination sous toutes ses formes", équipés de détecteurs d'homophobie, de racisme, de sexisme, de fascisme et de toutes sortes d'infamies dont ils accablent leurs contradicteurs, ils ignorent la domination la plus massive et la plus universelle de l'époque, celle de la technocratie, sans doute trop puissante pour être captée par leurs radars "micro-politiques"» Pièces et Main d'œuvre, Manifeste des chimpanzés du futur contre le transhumanisme

Note 8 : voir l'excellent livre d'Alexis Escudero : La Reproduction Artificielle de l'Humain.

 

CE QUE VOUS AVEZ (peut-être) RATÉ

 

Que s'est-il passé au CAD depuis notre dernier numéro ? Beaucoup de choses ! On a vu des films pour commencer. Grâce à Laurence, qui persévère dans sa volonté de nous faire partager tous les 2èmes jeudis de chaque mois les "Colères du temps", nous avons pu voir L'homme a mangé  la terre, de Jean-Robert Viallet. La course au progrès comme une autoroute sans issue sur laquelle l'humanité fonce pied au plancher. Le film nous a montré les engrenages pernicieux et les bifurcations ratées qui ont conduit à la situation écologique dramatique dans laquelle nous nous trouvons collectivement empêtrés aujourd'hui. Après la projection, nous avons aussi mangé un morceau, mais avec un arrière-goût d'amertume dans la bouche. Nous avons aussi regardé Ouvrir la voix, un documentaire sur les femmes noires numéros de l'histoire coloniale européenne en Afrique et aux Antilles. C'était un vrai plaisir d'écouter ces filles de couleur, comme on dit, raconter leur vécu avec les mots les plus pertinents. C'est aussi le reproche que certains des présents ont fait au document. L'auteur, Amandine Gay, n'a donné la parole qu'à des femmes de niveau culturel assez élevé. C'est difficile, en effet, de faire reconnaître ses qualités quand on n'a pas la couleur qu'il faut. Mais quid de celles qui sont nées avec une peau tout aussi foncée et n'ont pas été aussi bien dotées pour le reste ? Notre auteure, manifestement, ne s'y est pas intéressée. Pour ne pas passer à côté de l'actualité la plus chaude, nous avons projeté aussi Instinct de survie, avec cette fois, cerise sur le gâteau, la présence de la réalisatrice Renée Garaud. Un zoom sur le mouvement des Gilets Jaunes à Montpellier. Au travers des témoignages recueillis tout au long de ces derniers mois, loin du filtre  réducteur des médias, ceux qui n'ont pas participé eux-mêmes directement au mouvement ont pu mieux mesurer l'engagement, les rêves et les espoirs des « éveillés ». Enfin nous avons eu droit à Pas en mon nom, un sujet qui, quant à lui, brûle depuis près de 80 ans : le conflit israélo-palestinien. Comment dénoncer la politique de l'état d'Israël envers les Palestiniens sans glisser vers l'antisémitisme ? C'est la question à laquelle nous avons pu réfléchir à l'issue de la projection du très instructif document de Daniel Kupferstein.

Les rond-points de l'espoir ... ou du désespoir?

 

Et puis on a reçu des gens qui font des choses, des "acteurs directs" pour le dire en langage libertaire. Toni a parlé de la soirée avec Renaud Garcia. Nous avons également eu le plaisir d'accueillir Sylvain Wagnon, qui est venu nous présenter son dernier livre : Pour une pédagogie solidaire. Sylvain Wagnon est professeur à l'Université Paul Valéry. Il est spécialiste de Francisco Ferrer (que les lecteurs du Grain connaissent bien à présent). Face à un monde qui refuse de voir la réalité en face, comment l'éducation, une «éducation solidaire», peut-elle faire évoluer nos sociétés vis-à-vis des urgentissimes défis politiques et environnementaux de notre époque ? Sylvain Wagon a donné son point de vue, et les présents au débat ont donné le leur aussi. On n'a pas tout arrangé, mais les échanges font toujours avancer. Avec l'union Communiste Libertaire (UCL), nous avons aussi joué collectif en présentant ensemble à la librairie de La Mauvaise Réputation le recueil de textes intitulé Pratiques collectives - Pratiques du collectif, textes issus pour la plupart du colloque international du même nom qui s'est tenu en 2016 à l'université Paul Valéry de Montpellier sous la direction de notre camarade Isabelle. Toutes ces expériences collectives contemporaines, avec de la réussite pour nombre d'entre elles, prouvent que la société capitaliste et hiérarchisée à laquelle nous nous opposons n'est pas complètement indéboulonnable. Merci à Isabelle d'avoir permis de le rappeler à ceux qui en doute. Et puis enfin, parce que le temps file à toute vitesse quand on fait des choses, on arrive déjà au mois de janvier, nous avons fait un retour, à l'instigation de notre camarade Rémy, sur les 40 ans de résistance du ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Habiter en lutte. Un titre qui signifie que le fait d'habiter un territoire est inséparable de celui de lutter. L'aéroport de Notre-Dames-des-Landes ne se fera certainement pas, mais les utopistes de l'endroit n'en ont pas fini pour autant leur combat.

Lutter ça s'apprend aussi

 

Voilà ce que nous avions à vous raconter. On espère que cette petite revue vous a fait regretter de ne pas avoir été des nôtres, et que vous allez vous rattraper dans les mois à venir. En attendant, parce que nous aussi on sait en rire, comme on dit, et qu'on a pris des habitudes, on va laisser encore une fois le mot de la fin à notre ami Daniel.

 

LE FENESTROU DE L'ANARCO

Daniel Villanova nous propose son "Petit Abécédaire pour bien passer l'année 2020"

 

A comme Apéro. Une façon comme une autre de se détruire la santé tout en s'en souhaitant une bonne.

Ou comme Âge. Il m'est évident qu'avec l'âge, on se tasse. Certains matins, je pars à vélo, et le soir je n'arrive plus aux pédales ! 

B comme Banque (contrepèterie à taux zéro). Le banquier au début: « Allez, trinquons ! Tendez votre verre ! » Puis : « Ah, vous ne pouvez plus payer ? Vendez votre terre ! »

C comme Cumul des mandats. Citoyen ! Méfie-toi d'une bête qui a deux trous au cul. 

D comme Dépression. Moi, je fais les dépressions de nuit, pendant que je dors. Ainsi, elles ne     m'affectent pas. Pendant la journée mon moral est d'acier ! 

comme Embrassade. Ambrose Bierce raconte : « Le patron et l'ouvrier tombèrent dans les

 bras l'un de l'autre, et à l'issue de l'embrassade, le patron avait deux montres ». Curieux, non ?

F comme Feuille. Si tu as peur des feuilles, ne va pas dans les bois (proverbe troll).

G comme Grossesse. La mère des cons est toujours enceinte (proverbe italiano-universel).

H comme Haut (et bas). En me baladant au bord de l'Atlantique, il m'est venu l'idée qu'au fond   les hommes sont comme des cormorans sur une falaise. Celui qui est en haut chie sur celui du bas. 

comme Idiotie. En période électorale, j'ai pu maintes fois constater que l'idiotie est sans influence sur le droit de vote. 

J comme Justice. Mon père disait : « La justice, c'est comme les toiles d'araignée. Ça arrête les mouches mais pas les frelons. » Actuel, non ?

comme Karl Marx. Pour le poète Antonio Machado, Karl Marx fût « la bonne devenue impertinente de Monsieur Machiavel ». Et il ajoute : « C'est le propre des serfs que de tarder plusieurs siècles à s'affronter à ses maîtres. ». Alors ? Et nous ? Qu'est-ce qu'on attend pour être heureux ?

Ou comme Kangourou. Cri lancé par un bon copain lors de la conférence d'un chef de secte : « Fous le camp, gourou ! » 

L comme Lutte des classes. La différence entre un riche et un pauvre ? L'un bat le buisson et l'autre prend les oiseaux. C'est simplement ça, la lutte des classes.

Ou comme Liberté d'expression. Pour moi, c'est le contraire des piles Wonder. C'est quand on ne s'en sert pas qu'elle s'use.

L comme Lucidité. Les anciens Scythes fêtaient la naissance par des pleurs et la mort par des cris de joie.

M comme Mort. N'ayant aucune ascendance scythe, je sais que le jour où je mourrai je regretterai de m'être levé le matin.

N comme Niaiserie. Ceux qui ont voté Macron pour ne pas mettre le fascisme à l'Élysée sont comme ce jeune inconscient qui, toujours muni de son préservatif, ne l'enlevait que pour pisser et pour baiser.

O comme Opération. Aujourd'hui, la seule opération qu'on peut subir dans un hôpital sans risquer sa vie c'est l'autopsie.

comme Pourboire. Pour un pourboire n'importe quel employé d'hôpital vous dira qui est sur le point de mourir (ou d'être opéré).

Ou comme Presse. Il est de plus en plus difficile de différencier un journaliste d'un porte-parole du gouvernement.

comme Quotient Intellectuel. En les écoutant parler, on est surpris de constater que nombre de gens supposés riches (et donc puissants) ont un Q.I. qui touche le RMI. Et qu'ils sont souvent en fin de droits. Inquiétant, non ?

R comme Rougeurs. G-B Shaw disait : « L'homme est le seul animal qui rougisse. C'est d'ailleurs le seul animal qui ait à rougir de quelque chose »

comme Socialistes. Dans Le carnet d'or Doris Lessing note :  « Quand ils parlent de faire aboutir les espérances du Parti socialiste, on voit littéralement se former autour de leurs têtes des polices d'assurances et des comptes d'épargne ». Ce carnet vaut vraiment de l'or, non ?

Ou comme Socrate – Macron. Le grand Socrate a atteint le comble du philosophe en épousant une femme acariâtre pour exercer sa patience. En épousant son professeur, Macron aurait-il atteint le comble du fayotage ?

T comme Temps. Hé oui, le temps passe. Et on n'a jamais vu une horloge avec des freins à disque.

comme Universités. Centres de rétention du savoir. Les esprits libres y sont toujours en attente d'expulsion.

V comme Voisins. Un ami m'assurait l'autre jour que les siens étaient tellement cons que la rue penchait vers eux. Et il ajouta, abattu : « Et en plus c'est une impasse. »   

W comme Wonder (la pile). "Heureusement que ton grand-père est sourd, me disait ma grand-mère, parce que s'il s'apercevait que depuis deux ans il n'y a plus de pile dans son transistor, lui qui l'écoute sans arrêt... »         

comme Xénophobe. Personne née par chance dans le pays de ses rêves. 

 Y comme Youpi ! Cri poussé par Archimède enfant lorsqu'il constata que tout corps plongé dans des pensées érotiques subissait etc, etc.

Z comme Zadig (a le mot de la fin). Zadig se figurait alors les hommes tels qu'ils sont en effet : des insectes se dévorant les uns les autres sur un petit atome de boue.  

 

Un grand merci à Daniel qui ne se contente pas de nous faire rire. Il nous a permis aussi de renflouer les caisses du CAD avec son spectacle gracieux le 29 février dernier à Clapiers.
 

www.daniel-villanova.com

 

Voilà, c'est fini pour cette fois. Si vous aimez nous lire, on vous rappelle que le CAD a aussi une existence physique. N'hésitez pas à venir pousser la porte de notre bibliothèque. Le prochain événement aura lieu mercredi 11 mars : "La révolution et les révolutionnaires d'aujourd'hui". Causerie-débat avec Xavier Crespin autour du livre de Murray Bookchin dont il est le traducteur: Changer sa vie sans changer le monde.

 

 

ascaso-durruti.info/accueil.htm
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