TRENTE HEURES POUR PRENDRE
BARCELONE
Le 19/20 juillet 1936
BARCELONE ROUGE ET NOIRE
Le 19/20 juillet 1936
TRENTE HEURES QUI
EBRANLERENT LE MONDE
(PARADIGMA DE UNA REVOLUCION.)
Auteur : Abel Paz
.
Traduction : Centre Ascaso-Durruti
34 Montpellier
Préliminaires :
Quelques définitions rendront la lecture plus facile.
Gobernacion .
Generalidad, traduit par Généralité
Mozos de Escuadra
Guardias de Asalto
Guardia Civile
Les noms des rues, des édifices publics pourront être retrouvés sur le plan de Barcelone, en annexe.
Préface
de Federica Montseny
à l'édition de la SIA (février 1967)
Rassembler, sous forme de synthèse qui enrichira l'histoire, la connaissance et la formation des générations futures, les événements qui déclenchèrent et ceux qui se produisirent au cours de ce jour mémorable et des jours suivants. En un mot, se trouver en présence des faits qui se produisirent le 19 juillet 1936, j'estime que c'est une œuvre nécessaire et digne d'éloges.
De plus, la perspective que donne le temps écoulé, nous permet d'observer et de juger avec l'amplitude qu'accorde la distance. Dans ces heures-là, tous entraînés dans le tourbillon impétueux des combats, des problèmes, de nouveaux conflits à résoudre à chaque instant, nous ne n'avons pas pu porter sur les événements un jugement objectif comme peut le faire aujourd'hui un auteur qui a voulu et qui a su accumuler patiemment les témoignages, la documentation et interroger les uns et les autres.
Dans ce sens, la qualité majeure de ce livre que vous allez lire, après ces quelques lignes, est le souci de l'exactitude, de la vérité historique, c’est une œuvre honnête, consciencieuse.
On y trouvera peut-être des omissions... Mais, comment serait-il possible de tout résumer en un seul volume ! Le plus important, ce qui est fondamental, cela même qui forma la trame, d'abord de la conspiration, ensuite de la réaction populaire face à la tentative de coup d’état, est retranscrit fidèlement, c'est l'œuvre émouvante d'un homme amoureux de la liberté.
Il y a aujourd'hui des milliers, des millions de jeunes pour qui les événements du 18 et 19 juillet 1936 sont aussi mystérieux et éloigné que le sont la bataille des Thermopyles ou l'exécution d’Holopherne.
Avec précaution, la peur et la pression policière ont étendu, pendant trente ans, le voile du secret sur le passé... On n'a pu savoir du passé que ce que le franquisme a voulu que l'on sache : Franco et les forces de la Croisade se sont soulevés contre le communisme et le chaos dans lequel se débattait la perfide république de 1931. Sa cause était légitime et elle était soutenue volontairement par la majorité des espagnols... Dans les familles, même celles dont des membres étaient exilés ou en prison, on se taisait aussi, comme si en évoquant le passé, on réveillait les fantômes du danger et de la mort.
Dire la vérité, reconstruire la vérité, écrire la vérité, je répète que c'est utile et nécessaire. C'est la seule voie, d'ailleurs, pour que ceux qui viennent derrière nous puissent connaître un passé qui fait partie de l'histoire d'Espagne. C'est précisément au cours de cette histoire-là qu'on arriva le plus loin dans les idées et leur mise en œuvre, et sur le chemin de la liberté et de la construction.
Pour beaucoup, de plus, c'est un mystère que l'avènement de ce 19 juillet. Comment put se produire le soulèvement massif de tout un peuple contre le coup d’état factieux qui se substitua au gouvernement républicain incapable de faire front ? Il est important de connaître comment ce peuple se prépara, s'instruisit, se mit dans les conditions d'assumer une responsabilité que les peuples n'assument que dans des circonstances exceptionnelles et fulgurantes. Le 19 juillet, dans l'histoire d'Espagne sera ce que fut, dans l'histoire de France, le 14 juillet et ce que fut la révolution d'octobre en Russie.
Et, de la même manière que le peuple français s'y prépara et suivit une progression qui atteignit son point culminant en 1789 et les années qui suivirent, de la même façon, la révolution russe fut l'aboutissement d'un long processus de luttes et d'efforts, de cruels sacrifices, les premiers furent les "décembristes", la révolution espagnole fut le résultat, l'apothéose d'un drame qui s'était propagé à travers un demi-siècle de combats, de mouvements, de travail de préparation des masses ouvrières, de propagande, d'activisme résolu à affronter toutes les répressions, tous les dangers.
Depuis le premier chapitre, dans une succession chronologique de faits, l'auteur situe le double processus : celui de la conspiration des fascistes d'une part, celui de la prise de conscience du plus grand nombre, d'autre part. Ceux qui liront ce livre sauront comment les choses se sont enchaînées, parce qu'elles s'enchaînèrent, les faits qui les déterminèrent, les hommes qui y participèrent.
Il n'embrasse pas, il ne peut pas embrasser, tous les aspects politiques, sociaux, économiques, nationaux et internationaux des faits qui se produisirent à ce moment là. Ce n'était pas le propos de l'auteur et des éditeurs. Tenu par un temps limité, par un nombre de pages déterminé, le livre remplit sa mission sans déborder, ce qui aurait pu diluer le sujet et lui aurait fait perdre la netteté qu'obtient le champ de vision lorsqu'il se donne des limites et que le regard se pose.
Ces mots d'introduction ne prétendent pas se substituer au livre. Ils ne sont que le portique, la porte qui s'ouvre sur lui, incitant l'attention et la curiosité des lecteurs. Plongés et retenus dans sa lecture, nous qui avons vécu ces heures, nous les revivons, vous qui ne les avez pas vécues, vous les imaginerez et comprendrez ce qui avait pu vous paraître obscur ou qui a été délibérément obscurci.
Honnêtement, sans nous complaire en des éloges exagérés qui n'ont pas cours entre nous, nous considérons que l'auteur a atteint son objectif, il est parvenu à expliquer, clairement les événements du 19 juillet 1936.
Et je terminerai comme l'auteur commence : en souhaitant que les jeunes générations comprennent qu'il est toujours possible de faire une révolution lorsque la volonté et le courage sont là, lorsque les hommes, considérés individuellement ou collectivement ne renoncent ni à leurs droits ni à leurs devoirs.
INTRODUCTION. (à l’édition de 1967 en espagnol)
Les quarante dernières années de l'histoire d'Espagne se déroulent entre les parallèles de deux coups d'états militaires semblables (similaires) : celui qu'initia en septembre 1923 le général Primo de Rivera et celui qui propulsa la junte des généraux le 18 juillet 1936.
Ces faits démentent presque l'assertion selon laquelle l'histoire ne se répète pas. L'Espagne (avec l'Amérique Latine) est un terrain propice pour la répétition constante et méthodique de certains faits. Ce phénomène s'explique par des raisons de structure économique et de développement social de la classe ouvrière. En Amérique Latine, le premier facteur domine, mais en Espagne, les deux agissent conjointement. Pour cette raison, en Europe, l'unique pays capable d'entreprendre des actions étonnantes et de faire basculer la politique du continent est l'Espagne. Les faits que nous allons relater ici, en nous limitant à Barcelone, ont eu une telle importance pendant le temps que dura l'affrontement dans la péninsule, que le Monde prit position, et que les gouvernements agirent en fonction des événements qui s'y déroulaient. La politique des Etats-Unis dut prendre en compte cette révolution, contre le militarisme qui s'édifiait dans le pays le moins européen du Vieux Continent. L'Angleterre et la France soumirent leur politique au développement de la guerre d'Espagne, et les puissances fascistes de l'époque (Allemagne et Italie) trouvèrent dans la guerre ibérique un moyen de pression sur les trois nations qui se partageaient l'hégémonie continentale : France, Angleterre et Russie. Dans ces conditions le triomphe de la guerre révolutionnaire en Espagne aurait changé la face de l'Europe en montrant aux travailleurs comment se réalise une révolution, et comment elle peut se consolider par des voies nouvelles, comment un peuple peut gérer son propre destin, en contrôlant l'économie et les moyens de production. C'est justement cette nouvelle voie ouverte par le prolétariat espagnol qui fait que la révolution espagnole, trente ans après sa défaite militaire, continue d'exercer une influence considérable.
De par ses caractéristiques, cette révolution, en tant que réponse au coup d'état militaire, se trouve être la forme la plus achevée de révolution ouvrière. La révolution russe n'a aucune ressemblance avec la révolution espagnole. Quand les bolcheviques prirent le pouvoir en octobre 1917, ils conservèrent le contrôle d'une fraction importante de ce qui restait de l'ancienne armée tsariste, ainsi que de la plupart du matériel de guerre. En Espagne l'affaire se présente différemment. L'armée se soulève, et le gouvernement républicain n'a aucune force à opposer au soulèvement. La garde civile avec ses trente cinq mille hommes, quand elle n'est pas dévouée aux factieux, est suspecte aux yeux des républicains. Dans cette conjoncture seuls restent mobilisés les partis politiques et les organisations ouvrières qui prennent, malgré l'opposition du gouvernement, l'initiative du combat, attaquant les casernes et mettant les factieux en déroute. Elles se chargent de continuer la lutte en organisant, en armant et dirigeant les milices ouvrières surgies spontanément.
Elles prennent également l'initiative de la mise en route de l'industrie à travers des comités d'usines qui éclosent spontanément.
La singularité de cette révolution est l'existence de deux formes distinctes d'interprétation politique du contrat social. Elles cohabiteront au cours des trente deux mois que durera la guerre, assistant à la lutte de l'état pour recouvrer ses prérogatives contre les forces ouvrières défendant leurs conquêtes. Le troisième facteur qui faisait pencher la balance en faveur de l'état était la guerre tragique à laquelle on devait faire face tous les jours, sans trêve ni repos. Mais à mesure que l'état récupérait ses prérogatives, la résistance ouvrière déclinait, leçon à retenir, car si l'on avait totalement détruit l'état, il est certain que l'humanité aurait assisté à une révolution sans précédent dans l'histoire des civilisations humaines, créatrice d'un modèle entièrement nouveau de contrat social.
***
La dictature Primo de Rivera-Franco s'explique en fonction des deux facteurs énoncés plus haut. L'antagonisme de classe et le développement social d'inspiration anarchiste en 1923 se débattait sous le poids de l'erreur commise par la classe ouvrière en 1917BB, date à laquelle la révolution était possible. La bourgeoisie et les pouvoirs coercitifs de la monarchie avaient déjà utilisé tous les moyens que leur donnait la constitution, et la situation personnelle d'Alphonse XIII était des plus difficiles. Dans ces conditions, le recours à la dictature, arme utilisée par la bourgeoisie quand elle se sent clairement menacée était d'une logique implacable. Mails la dictature du Marquis d'Estella, bien que tyrannique et barbare, ne put extirper les racines du mouvement ouvrier, et usée par ses propres abus, commença à décliner dans les années 1929-1930.
Le pouvoir étant affaibli, la réaction logique fut une augmentation de la pression populaire, resurgissant avec une force insoupçonnée. Ainsi, toute l'année 1930 est secouée par cette montée en puissance de la classe ouvrière. Le pas est franchi avec l'instauration de la République le 14 avril 1931.
Mais comme la République devenait une sorte d'amortisseur pour la révolution, son passage au pouvoir freina d'un côté la révolution sociale si nécessaire, et d'autre part permit à la réaction, après l'échec de Primo de Rivera, de préparer un plan plus élaboré d'extermination des organisations ouvrières. Le triomphe du franquisme, avec ses huit cent mille exilés, son million de morts, fusillés ou assassinés, et son million d'emprisonnés est la glorieuse victoire clérico-aristocratico-militaire.
Ces trois groupes sociaux unis à une bourgeoisie avare de ses richesses et peu entreprenante furent le soutien de Primo de Rivera, et treize ans plus tard, celui de Franco. Avec ce dernier, l'Espagne s'engagea dans la voie des trente ans de dictature dont elle souffre encore.
En considérant le pays dans son ensemble, avec trente ans de recul, la clameur de tous ceux qui, avec un sens critique constructif, analysent le panorama économique actuel de l'Espagne, s'accordent sur la nécessité où se trouve le pays de réaliser d'urgentes réformes pour transformer les structures économiques. Les problèmes agraires, culturels, universitaires et industriels restent posés. Ainsi, paradoxe historique, nous nous retrouvons dans la situation de 1930 : la pure et simple nécessité de faire la révolution.
L'échec de ces trente ans de dictature et de domination dans tous les secteurs, du monopole industriel à l'approche gouvernemental de l'enseignement, ainsi que l'anéantissement méthodique de l'opposition ouvrière, ont conduit la dictature à l'impasse où se trouvait Alphonse XIII en 1930.
Pour les classes réactionnaires qui ont soutenu Franco, le dictateur est devenu incapable, et elles commencent à lui tourner le dos. Pourtant, l'usure propre à la dictature dans l'exercice de la répression et la conjoncture internationale ont ouvert des brèches par où pénètrent dans le pays des courants rénovateurs de tendance anarcho-syndicaliste, cette idée qui bouillonne dans les régions industrielles et paysannes.
Ce constat des analogies historiques est ce qui nous a fait penser que tracer un paradigme des faits qui rendirent possible le triomphe ouvrier à Barcelone le 19 juillet, serait offrir un essai analytique qui ferait comprendre que, quand un peuple a la volonté d'être libre, il y parvient avec hargne, entrain et courage... Font confiance à ce peuple qui suit une ligne ascendante vers son émancipation.
I.
ANTÉCÉDENTS DU SOULÈVEMENT FASCISTE
La conspiration clérico-militaire qui culmina avec le soulèvement fasciste du 18 juillet 1936, prend racine au lendemain de la proclamation de la Seconde République, le 14 avril 1931 ; mais c'est à partir du mois de novembre 1933, quand les groupes politiques de cette tendance prennent le pouvoir suite au fracassant échec du gouvernement socialo-républicain de 1931-33, que la menace factieuse se présente, sans euphémisme, devant la classe ouvrière. Durant cette période se situent les faits qui vont générer le soulèvement : les contacts d'éminents monarchistes avec Mussolini afin que celui-ci finance un coup d'état fasciste en Espagne, les voyages en Allemagne du général Sanjurjo et de José Antonio Primo de Rivera à l'occasion desquels ce dernier porte la toute récente phalange espagnole sur les fonts baptismaux du nazisme...
Ainsi le "bieno negro" (1933-36) où la droite exerce le pouvoir ne sont que la première tentative d'instauration du fascisme par des voies légales, puis ayant perdu le pouvoir, de le récupérer par le soulèvement militaire. L'avenir de l'Espagne se trouve dans cette alternative. Gil Robles, qui devait être l'homme politique légalisant ce coup d'état, de par sa position de Président du Gouvernement, crut jusqu'au dernier moment que l'on pourrait instaurer la dictature par des voies légales, après le triomphe électoral de novembre 1933. Son refus de permettre un classique coup d'état militaire accéléra le travail des généraux conspirateurs et exaspéra la Phalange. Dans ces circonstances, la victoire électorale de la gauche le 16 février 1936, marque la rupture réelle entre les " deux Espagne " et la première bataille de la grande guerre à venir.
A partir de cette date, les conspirateurs affinent et organisent les derniers préparatifs. Ils disposent de l'appui inconditionnel d’Hitler, Mussolini, et Oliveira Salazar. Leurs hommes politiques, certains publiquement comme Leroux, Gil Robles et Calvo Sotelo, préparent le terrain politique. Le monarchiste Goicochea, l'ultra réactionnaire Cambo et le financier Juan March le font clandestinement, et se chargent de trouver des soutiens financiers avec l'appui des capitaux du patronat, des banquiers, des usuriers, des grands propriétaires fonciers, et de l'église qui entre d'un seul bloc dans ce front de lutte qui divisera les Espagnols en deux camps. Les forces militaires de la Marine et de l'Infanterie, commandées par des généraux monarchistes se joignent au soulèvement à travers les structures de l'état républicain qui avait maintenu ces généraux à des postes clefs. Ce sont ces généraux qui allaient élaborer le plan stratégique militaire. Parmi eux se détachait celui qui deviendrait le Caudillo de la révolte. Dans ce but les généraux se réunirent entre mars et avril. Ni la première, ni la seconde réunion n'aboutirent. En chacun d'eux dominait la méfiance envers les autres, car chacun se croyait le " Caudillo idéal ". Dans l'une de ces réunions, où l'on évoquait le coup d'état comme une simple parade militaire, le jeune général Franco fut le seul à évoquer la possibilité d'une résistance populaire.
Il se proposa alors pour organiser la zone marocaine, en prévision de l'échec de l'armée dans la péninsule, contaminée par l'importante propagande que la gauche diffusait parmi les soldats. On lui accorda cette autorisation en raison de l'ascendant qu'il avait sur les mercenaires composant les " Banderas del Tercio ". (Unités de la légion étrangère).
Lors de cette même réunion, on écarta de la direction du " Plan militaire " le général Sanjurjo pour excès de gloriole, le général Cabanellas pour son âge avancé, le général Cavalcanti pour sa maladie, le général Goded pour son ambition personnelle, Franco pour la méfiance qu'il inspirait, et les autres car ils étaient trop peu populaires dans l'armée. La responsabilité d'élaborer ce plan échut au général Mola.
Le plan connu sous ce nom fut son œuvre, livré à Madrid le 25 mai 1936 sous la signature du " Directeur ". Il décrivait " les objectifs, les moyens et les itinéraires ".
Le plan comportait ce préambule : " A la vue de la carte d'Espagne, considérant la répartition et la capacité offensive des unités de notre armée, et le moment politique qui donne aux masses prolétariennes un moral et une force offensive considérables, nous estimons indispensables pour atteindre un succès total du soulèvement les points suivants :
1) Que se déclarent en rébellion les 5ème, 6ème et 7ème divisions, avec le double objectif d'assurer le maintien de l'ordre sur leur territoire, et de converger sur Madrid.
2) Que les forces du commandement militaire des Asturies tiennent en respect les masses du bassin minier et de Puerto de Musel, et qu'une partie de la 8ème division et de la garnison de Léon leur viennent en renfort.
3) Que la 3ème division seconde également le mouvement, et mette à disposition deux colonnes : une pour remonter la côte du Levant vers la Catalogne si nécessaire, et l'autre à lancer sur Madrid en démonstration de force.
4) Que la 4ème division se charge du commandement et du gouvernement catalans, et tienne en respect les masses ouvrières catalanes, s'ajoutant ainsi au mouvement général.
5) Que restent passives les forces de garnison des Baléares, des Canaries et du Maroc, mais que dans le cas probable où le gouvernement républicain déciderait de rappeler dans la péninsule des forces de choc pour combattre les patriotes, ces forces rejoindront la rébellion avec tous leurs cadres.
6) Que les 1ère et 2eme Divisions, si elles ne se joignent pas au mouvement, adoptent pour le moins une attitude de neutralité bienveillante et par conséquent, refusent fermement, de combattre ceux qui luttent pour la cause de la Patrie.
7) La collaboration de la marine de guerre, qui doit s'opposer au débarquement en Espagne de forces disposées à combattre le mouvement.
8) La collaboration des masses citoyennes de l'Ordre, ainsi que leurs milices, en particulier celles de la Phalange et les Requetés.
Les lignes générales d'invasion des 3ème, 5ème, 6ème, et 7ème divisions sont :
Pour la 3° : la route de Valence à Madrid par Tarancon
Pour la 5° : Saragosse, Calatayud, Arcos, Guadalajara.
Pour la 6° : Burgos, Aranda de Duero, Col de Somosierra, Logrono, Soria, El Burgos de Osma, Riaza, Pampelune, Tudela, etc. ( les forces provenant de Logrono et Pampelune si le besoin s'en ressent.)
Pour la 7° : Valladolid, Ségovie, ensuite vers Villalba par Navacerrada ou Somosierra. "
Dès l'instant où Mola devint le chef du soulèvement factieux, il installa son cabinet de travail à Pampelune. Il consacrait douze heures par jour à la préparation du coup d'Etat, achevant le plan d'occupation de la péninsule, consultant, recevant des visites, ralliant des garnisons, et rédigeant même les premières affiches qui devaient être placardées dans les villages pour terrifier le voisinage, une fois proclamé l'état de guerre.
Le général Mola réalisait la coordination des garnisons à travers l'Union Militaire Espagnole (UME), organisation qui regroupait tous les militaires d'active, monarchistes ou ultra-réactionnaires. Dans cette organisation se retrouvaient tous ceux que les décisions de Manuel Azana avaient éloignés de leurs postes en raison de leur passé monarchiste, mais la loi édictée par Azaña prévoyait malgré leur retraite de leur verser leur solde entière. Ainsi tombés en disgrâce, ils se convertirent immédiatement en agents conspirateurs avec l'argent de la République.
La responsabilité de diriger l'UME revint au commandant d'Etat Major Bartolomé Barba et au lieutenant colonel du même corps Valentin Galarza. Comme premier travail, en accord avec les orientations générales en vue du coup militaire, ce directoire se donna mission d'établir des liens avec toutes les garnisons où se trouvaient des adeptes. Le travail préparatoire de l'UME fut décisif pour le fameux plan du général Mola.
En ce qui concerne la région catalane ( principal et unique objet de cette monographie ) , le premier contact de l'UME, puis de Mola pour la préparation et l'organisation des militaires, fut le capitaine d'artillerie Lopez Varela, agent de liaison en Catalogne des deux principaux centres instigateurs de la rébellion militaire : Madrid et Pampelune. De ces deux villes, il reçut des instructions concrètes pour monter une junte factieuse en Catalogne.
Préparation de la rébellion factieuse, ou Lopez Varela en action.
Le résultat du travail et des prises de contacts de ce capitaine fut la constitution d'une junte factieuse à Barcelone, où étaient représentées toutes les armes de Terre et de l'Air.
Cette junte nomma à son tour un comité exécutif chargé de l'organisation militaire et civile du coup d'état. Le président de cette junte et du comité exécutif fut le lieutenant-colonel Francisco Isarre mis en retraite par la loi Azaña.
Isarre et Lopez Varela furent les pivots des institutions factieuses. Le premier s'occupa principalement de l'administration et des finances, ainsi que des contacts directs avec le directoire de Mola et l'UME, c'est à dire : avec Valentin Galarza. A Lopez Varela revint la charge de " faire des adeptes " et de garder le contact avec les délégués des garnisons et les représentants des corps armés tels que Gardes d'Assaut, Garde Civile, et Carabiniers ou des organisations civiles mêlées au complot : Phalange Espagnole, Communion Traditionaliste, Rénovation Espagnole et autres groupes réactionnaires.
Cette junte réussit à étendre ses ramifications aux provinces catalanes et aux villes voisines de Barcelone.
Accords avec les corps armés.
Profitant de la conjoncture politique de 1935, le capitaine d'artillerie Garcia Gonzales s'était fait incorporer dans les gardes d'assaut où il occupa la charge de " chef du détail ". De ce poste, il multiplia les contacts avec les officiers dans le but d'en rallier le plus grand nombre à la "cause nationale ". Le résultat de ces contacts fut l'adhésion des capitaines Ramirez de Cartagena et Nicasio Riera. Ces trois officiers constituèrent le noyau factieux des gardes d'assaut.
Pour compromettre ces nouvelles recrues, la junte décida d'organiser en janvier 1936(avant les élections de février) une réunion au cours de laquelle les trois capitaines s'engagèrent sur l'honneur à faire respecter par les gardes d'assaut les trois principes suivants :
a) Ils n'utiliseraient pas leurs armes contre l'armée dans le cas où celle-ci se soulèverait.
b) Dans le cas d'un soulèvement militaire, ils s'engageraient à maintenir l'ordre public à tout prix, ce qui équivaudrait à une collaboration avec les mutins.
c) Ils se tiendraient à la disposition du général désigné pour diriger le coup d'état militaire une fois celui-ci déclaré.
Pour préciser les objectifs de la collaboration avec la Garde Civile ; la Junte convoqua une réunion plénière le 27 juin. Le baron Viver mit à la disposition des quatre-vingt officiers des diverses armes qui se réunissaient, une de ses propriétés située à Argentona. Le même baron se chargea d'organiser une fête en guise de couverture, pendant laquelle se tint la réunion dont le principal objet était d'étudier la façon de neutraliser le général Aranguren, chef de la Garde Civile en Catalogne. Pour la junte, le cas de la Garde Civile présentait plus d'avantages que les Gardes d 'Assaut, bien qu'elle fût légalement dépendante du Conseil de Gouvernement de la Généralité. Ces avantages étaient les officiers de ce corps tous ralliés au soulèvement, et l'inconvénient était la position juridique d'Aranguren. Il fut convenu que la Garde Civile se conformerait aux points a) et b) déjà convenus avec les Gardes d'Assaut, et quant au point c), la Garde Civile ne participerait à aucune concentration de forces que lui ordonnerait son commandant.
Succès du capitaine Gonzales parmi les Gardes d'Assaut.
De janvier à juin 1936 Gonzales avait convaincu de se joindre au coup d'état 61 des officiers du corps des Gardes d'Assaut, ce qui représentait environ 90% de leur effectif. Il était de plus sous-entendu que le commandant Marzo, chef des Gardes d 'Assaut de Barcelone, sans avoir signé le pacte s'était engagé sur l'honneur à soutenir les factieux.
Les perspectives offertes aux rebelles en puissance ne pouvaient être plus engageantes : l'armée dans la rue sous leur contrôle exclusif et les forces de l'ordre à leurs côtés, prêtes à collaborer.
En ce qui concerne la Catalogne cet horizon s'encombra à partir du 16 février date à laquelle, les gauches arrivant au pouvoir, la loi d'amnistie fit sortir de prison les condamnés pour faits révolutionnaires d'octobre 1934. La Catalogne retrouvant ses prérogatives de gouvernement autonome, son statut à nouveau en vigueur permit à Companys d'occuper à nouveau la présidence de la Généralité, de même que changeaient de titulaire diverses fonctions de l'administration publique et des corps armés.
Les nouveaux gouvernants ne tardèrent pas à soupçonner la conspiration, surtout en ce qui concernait les Gardes d 'Assaut, unique appui armé sur lequel la Généralité aurait pu compter.
Le corps des Gardes d'Assaut était composé d'hommes jeunes, bien armés et spécialisés dans la fonction qu'ils avaient depuis leur création, la persécution de la classe ouvrière. C'était en fait une force d'élite composée d'environ 3600 gardes. La Généralité s'employa à l'épuration de ce corps, organisant des transferts afin de placer aux commandes des officiers loyaux au Statut et à la République. De mai à début juillet, le travail du conseil des ministres aboutit à un bilan positif : des 61 officiers acquis au soulèvement, il n'en resta plus que 12, et le commandant Marzo fut remplacé par le commandant Garnier, un inébranlable fidèle de la République.
Tout ce travail s'était fait avec discrétion dans un premier temps mais, face à la succession de mutations, les conspirateurs communiquèrent à Mola les surprenants changements qui s'opéraient chez les Gardes d'Assaut. A ce moment, le calendrier était déjà très avancé et malgré les postes clés que détenaient les conjurés dans les ministères et les états majors, ils ne purent éviter le coup de grâce que fut la mutation du commandant Marzo à Saragosse.
Malgré tous ces contretemps les mutins ne désespéraient pas et ils continuèrent leur travail souterrain, toujours avec l'aide inestimable de Gonzales et du capitaine Valdes qui était le nouveau délégué de son régiment auprès de la junte. Une lutte secrète s'engagea. A chaque manœuvre de la Généralité les conjurés répondaient selon leur influence par un boycott ou en retardant le plus possible l'accomplissement des ordres. Garnier imposa des sanctions en vue de mettre en garde les officiers quand se présentaient des cas de sabotage direct. Ainsi, bien qu'à une moindre échelle, l'affrontement était le même que dans les casernes de l'armée. Se côtoyaient des officiers ouvertement hostiles à la République et des officiers républicains, au point qu'on en venait parfois aux mains et aux affrontements dans les cantonnements. Le climat était à la guerre.
Le plan d'occupation de Barcelone.
Ce plan, comme le reste des plans formulés par l'état major factieux fut basé sur les points de vue des conspirateurs locaux avant d'être fixé définitivement. En ce qui concerne Barcelone, c'était une belle manœuvre militaire. De la périphérie où se trouvaient les casernes, les troupes devaient encercler la capitale puis converger vers les principaux centres vitaux de la ville en occupant immédiatement la Généralité, le Gouvernement, la Poste et les Télégraphes, ainsi que l'émetteur de la Radio. La tactique dans les casernes pour préparer la troupe devait être la même en tous lieux : " Annoncer à la troupe que quelqu'un préparait un soulèvement contre la République et que l'armée, garante de l'ordre devait sortir la défendre dans la rue. " Les mots d'ordre seraient donc " Vive l'Espagne ! " et " Vive la République ! ". Par mesure de sécurité et pour bien contrôler la troupe, la veille du soulèvement, s'infiltreraient dans les casernes, en uniforme militaire, les militants de la Phalange, des Requetés, etc. chargés d'exercer contrôles et pressions au sein de la troupe, l'obligeant à intervenir même si elle devinait la supercherie. Les officiers républicains ou non-conjurés, seraient temporairement emprisonnés et remplacés à leurs postes par les plus anciens ou les plus déterminés défenseurs du fascisme. Quant à la tactique à suivre dans la rue, elle était d'imposer la terreur au plus vite, afin de démoraliser les possibles ennemis, c'est à dire les travailleurs.
Au sujet de la valeur tactique des différentes armes, d'après le succès obtenu par l'armée contre la révolte du 6 octobre 1934, on attribuait une valeur essentielle et " prophétique " à l'artillerie, bien que certains chefs du complot à Barcelone aient pu exprimer une opinion opposée. En pleine réunion de la junte, quelques jours avant le soulèvement on assista au dialogue suivant : " Dès qu'elle entendra tonner le canon, toute cette populace détalera à toutes jambes !
D'autres plus prudents objectaient :
- Et s'ils ne fuient pas ? Et s'ils se barricadent et résistent ? Il faut aussi prévoir cette possibilité.
- Ils courront, n'en doutez pas, répliqua le chef du soulèvement. "
* * *
Les factieux comptaient sur toutes les forces de Barcelone à l'exception de la compagnie d'intendance commandée par un républicain le commandant Neira, et le terrain d'aviation de Prat de Llobregat, sous les ordres d'un fervent catalaniste, le lieutenant colonel Diaz Sandino. Les forces des conjurés étaient : deux régiments de cavalerie, deux d'infanterie, deux d'artillerie (légère et de montagne), les forces du génie et les sapeurs, la santé militaire et le parc central d'artillerie avec ses annexes d'Atarazanas et la base aéronavale.
Leurs adversaires potentiels, sous le contrôle de la Généralité, parfois en théorie seulement : les Mozos de Escuadra, deux cents hommes chargés de la surveillance des édifices de la Généralité, du Gouvernement, et de la Municipalité ; la police secrète d'environ mille hommes, la Garde d'Assaut dont on a vu que la situation était si incertaine qu'elle ne se précisa qu'au moment de l'affrontement.
Les corps neutres, on le verra au cours du combat : les Carabiniers qui n'intervinrent pas, sauf le poste du port qui se rangea au côté du peuple ; la Garde Civile qui n'usa pas de ses armes sauf dans la prise de la Place de Catalogne dans les conditions que l'on verra. Cette force, vu l'inconnue qu'elle représentait, fut d'un grand secours pendant le soulèvement car les forces ouvrières et le Conseil de Gouvernement durent user d'une grande énergie et d'une grande attention pour éviter son passage à l'ennemi. Ce fut le cas de la force envoyée pour affronter le régiment de cavalerie de Santiago, qui, sous les ordres du commandant Recas, passa tout entière dans le camps adverse.
L'inventaire des forces en présence rendait facile une prédiction des résultats de la lutte.
Si la Généralité voulait remporter ce combat, elle avait besoin d'un allié sérieux, et cet allié, elle devait le chercher en dehors des " forces de l'ordre ". Il était donc facile de comprendre que le seul allié sur lequel pouvait s'appuyer la Généralité était le peuple, les travailleurs. Mais le peuple catalan est un peuple ouvrier, et le contrôle de la classe ouvrière était exercé par les anarcho-syndicalistes à travers la puissante Confédération Régionale du Travail, adhérente à la Confédération Nationale du Travail, qui comptait alors plus de 400 000 membres dans la seule Catalogne. Elle et pouvait sauver la situation du gouvernement représentatif qui, la veille encore, exerçait sa répression sur l'anarcho-syndicalisme.
Cette situation tournait au casse-tête pour les hommes du pouvoir. Sans la CNT, la partie était perdue. Le grand paradoxe de cette conjoncture historique est que la Généralité, bien qu'avertie, choisit la pire des solutions, ne pas armer les hommes de la CNT. Ce qu'il en advint, et comment le fascisme fut vaincu, c'est ce que verra le lecteur dans la suite de ce récit.
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Pour en finir avec ces antécédents, un doute persiste sur le nombre exact des troupes factieuses, ou restées sous leur contrôle, qui intervinrent dans les événements du 19 juillet.
D'après de bonnes sources antérieures, la conspiration s'étendait à toutes les armes, et les soldats ne se joignirent au mouvement révolutionnaire qu'au fur et à mesure de l'anéantissement des formations militaires ou de la mort de leurs chefs. Ce qui revient à dire que les mutins eurent toujours la maîtrise des troupes qu'ils commandaient.
Selon les informations des mutins eux-mêmes, dans la préparation, l'organisation et la réalisation du soulèvement intervenaient environ 600 officiers. La liste des fusillés après la défaite donne les chiffres suivants : 8 généraux d'active ou en retraite, 7 colonels, 10 lieutenants-colonels, 31 commandants, 56 capitaines, 71 lieutenants et 16 aspirants de diverses armes.
En ce qui concerne les soldats, Diego Abad de Santillàn, dans son livre consacré à la Guerre d'Espagne, estime la garnison de Barcelone à 35 000 soldats. Manuel Benavides, dans une autre œuvre consacrée à la guerre, dit que " 8000 soldats furent impliqués ", et les sources fascistes déclarent " la garnison de Barcelone, en raison des permissions d'été, fut réduite à deux tiers ", sans donner aucun chiffre. En prenant pour base le chiffre de Santillàn, qui paraît exagéré, quelques 20 000 soldats furent impliqués ou 8000 selon Benavides. Dans l'impossibilité de trouver des données concrètes, il faut considérer ces chiffres comme des hypothèses.
Pour ce qui est de la participation de militants, très aléatoire, les sources factieuses l'expliquent ainsi : " le soulèvement comptait sur l'appui d'environ 1500 civils, mais à l'heure cruciale, seuls 800 ou 1000 furent présents. "